Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/129

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et le plus dévoué que Dieu pût nous donner pour nous ramener en France ! »

Ah ! brave demoiselle ! Que ne ferait-on pas pour des gens qui vous disent de ces choses, et avec un tel accent d’amitié ! Oui ! puissions-nous arriver à la frontière ! Puissent Mme Keller et son fils passer à l’étranger, en attendant de se retrouver tous ensemble !

Quant à moi, si l’occasion se présente de me dévouer encore pour eux… Sufficit !… et s’il faut y donner sa vie… Amen ! comme dit le curé de mon village.

À sept heures, nous étions en route. Si cette journée du 21 août n’offrait pas plus d’obstacles que celle d’hier, nous devions, avant la nuit, avoir traversé ce pays de Thuringe.

En tout cas, elle commença bien. Les premières heures furent dures, sans doute, parce que la route montait entre les croupes au point qu’il fallut parfois pousser aux roues. En somme, on s’en tira sans trop de peine.

Vers midi, nous avions atteint le plus haut d’un défilé qui s’appelle le Gebauër, si mes souvenirs ne me trompent pas, et qui traverse la gorge la plus élevée de la chaîne. Il n’y avait plus qu’à descendre vers l’ouest. Sans se lancer à fond de train — ce qui n’eut pas été prudent — on irait vite.

Le temps n’avait pas cessé d’être orageux. Si la pluie ne tombait plus depuis le lever du soleil, le ciel s’était couvert de ces gros nuages qui ressemblent à d’énormes bombes. Il suffit d’un choc pour qu’elles éclatent. Alors c’est l’orage, qui est toujours à redouter dans les pays de montagnes.

En effet, vers six heures du soir, les roulements du tonnerre se firent entendre. Ils étaient loin encore, mais se rapprochaient avec une excessive rapidité.

Mlle Marthe, blottie dans le fond de la berline, absorbée dans ses pensées, ne semblait pas trop s’effrayer. Ma sœur fermait les yeux et restait immobile.