Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/137

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N’entendant plus rien, je commençai à me rassurer, à me demander même si je n’avais point été le jouet d’une illusion de l’oreille et de l’œil. Quelquefois, on croit ne pas dormir et l’on dort. Ce que l’on prend pour une réalité n’est que la fugitive impression d’un rêve.

Résolu à lutter contre le sommeil, je me mis à marcher d’un bon pas, de long en large, sifflant, sans m’en rendre compte, mes sonneries les plus éclatantes. J’allai même jusqu’à l’angle de la forêt, derrière la hutte, et je m’engageai d’une centaine de pas sous les arbres.

Bientôt, il me sembla entendre une sorte de glissement sous les fourrés. Qu’il y eût là un renard ou un loup, c’était possible. Aussi, mes pistolets armés, étais-je prêt à les recevoir. Et telle est la force de l’habitude, qu’en ce moment, au risque de trahir ma présence, je sifflais toujours, ainsi que je l’appris plus tard.

Tout à coup, je crus voir une ombre bondir. Mon coup de pistolet partit, presque au hasard. Mais, en même temps que la détonation éclatait, un homme se dressait devant moi…

Je l’avais reconnu rien qu’à la lueur du coup de feu : c’était Jean Keller.


XVII

Au bruit, M. de Lauranay, Mlle Marthe, ma sœur, subitement réveillés, s’étaient élancés hors de la hutte. Dans l’homme qui sortait avec moi de la forêt, ils n’avaient pu deviner M. Jean, ni Mme Keller, qui venait d’apparaître presque aussitôt. M. Jean s’élança vers eux. Avant qu’il eût prononcé une parole, Mlle Marthe l’avait reconnu, et il la pressait sur son cœur.

« Jean !… murmura-t-elle.