Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/136

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Cependant le temps s’écoulait. Quelle heure pouvait-il être ? Minuit était-il passé ? Peut-être, car la nuit est assez courte à cette époque de l’année. Aussi je cherchais quelque blanchiment du ciel dans l’est, à la crête des dernières montagnes. Mais rien ne signalait encore la prochaine montée de l’aube. Je devais donc faire erreur, et en effet je me trompais.

Il me vint alors à l’esprit que, pendant la journée, M. de Lauranay et moi, après avoir consulté la carte du pays, nous avions reconnu ceci : c’est que la première ville importante qu’il nous faudrait traverser, serait Tann, dans le district de Cassel, province de Hesse-Nassau. Là, il serait certainement possible de remplacer la berline. N’importe quel moyen serait bon pour atteindre la France, et, quand nous y serions, nous y serions bien. Toutefois, pour gagner Tann, il fallait compter une douzaine de lieues, et j’en étais là de mes rêvasseries, quand je tressautai soudain.

Je m’étais relevé et prêtais l’oreille. Il me semblait qu’une détonation lointaine venait de se faire entendre. Était-ce un coup de feu ?

Presque aussitôt, une seconde détonation arriva jusqu’à moi. Pas de doute possible, c’était celle d’un fusil ou d’un pistolet. Et même j’avais cru voir comme une lueur rapide à l’horizon des arbres, massés en arrière de la hutte.

Dans la situation où nous étions, au milieu d’un pays presque désert, tout était à craindre. Qu’une bande de traînards ou de pillards vînt à passer sur la route, et nous courions le risque d’être découverts. N’y eût-il qu’une demi-douzaine d’hommes, comment aurions-nous pu résister ?

Un quart d’heure s’écoula. Je n’avais pas voulu réveiller M. de Lauranay. Il pouvait se faire que cette détonation vînt de quelque chasseur à l’affût d’un sanglier ou d’un chevreuil. En tout cas, par la lueur entrevue, j’en avais estimé la distance à une demi-lieue environ.

J’étais resté debout, immobile, le regard fixé dans cette direction.