Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/51

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Quant à M. de Lauranay, s’il habitait Belzingen, c’est que, dans ce coin de la Prusse, il avait hérité d’un oncle d’assez belles propriétés qu’il fallut faire valoir. Sans doute, il eut préféré les vendre et revenir en Lorraine. Malheureusement, l’occasion ne se rencontra pas. M. Keller, le père, chargé de ses intérêts, ne trouva que des acquéreurs à vil prix, car l’argent n’abondait pas en Allemagne. Plutôt que de s’en défaire dans de mauvaises conditions, M. de Lauranay dut garder son bien.

Par suite des rapports d’affaires entre M. Keller et M. de Lauranay, les relations d’amitié ne tardèrent pas à s’établir d’une famille à l’autre. Cela durait depuis vingt ans déjà. Jamais un nuage n’avait obscurci une intimité fondée sur la ressemblance des goûts et des habitudes.

M. de Lauranay était resté veuf, jeune encore. De son mariage il avait eu un fils que les Keller connurent à peine. Marié en France, ce fils ne vint qu’une ou deux fois à Belzingen. C’était son père qui l’allait voir chaque année, — ce qui procurait à M. de Lauranay le plaisir de passer quelques mois dans son pays.

M. de Lauranay fils eut une enfant dont la naissance coûta la vie à sa mère. Lui aussi, très affligé de cette perte, ne tarda pas à mourir. Sa fille le connut à peine, car elle n’avait que cinq ans, lorsqu’elle devint orpheline. Pour toute famille, elle n’eut plus alors que son grand-père.

Celui-ci ne manqua pas à ses devoirs. Il alla chercher cette enfant, il la ramena en Allemagne, il se voua tout entier à son éducation. Disons-le tout de suite, il fut bien aidé en cela par Mme Keller, qui prit cette petite en grande affection et lui donna les soins d’une mère. Si M. de Lauranay fut heureux de pouvoir s’en remettre à l’amitié, au dévouement d’une femme telle que Mme Keller, il est inutile d’y insister.

Ma sœur Irma, on le croira volontiers, seconda sa maîtresse de bon cœur. Que de fois, j’en suis sûr, elle fit sauter la petite fille dans son giron ou l’endormit entre ses bras — et cela, non seulement