Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/92

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Précisément, Mme Keller et Irma, accompagnées de Mlle de Lauranay, rentrèrent au moment où nous allions sortir. M. Jean dit à sa mère qu’une course nous retiendrait dehors, une heure environ, qu’il s’agissait de terminer l’affaire des chevaux nécessaires pour le voyage, et qu’il la priait de reconduire Mlle Marthe, au cas où nous tarderions à revenir.

Mme Keller ni ma sœur ne se doutaient de rien. Cependant Mlle de Lauranay avait jeté un regard inquiet sur Jean Keller.

Dix minutes plus tard, nous arrivions chez M. de Lauranay. Il était seul. On pouvait parler en toute liberté.

M. Jean le mit au courant. Il lui montra la lettre du lieutenant von Grawert. M. de Lauranay frémit d’indignation en la lisant. Non ! Jean ne devait pas partir sous le coup d’une pareille insulte ! Il pouvait compter sur lui.

M. de Lauranay voulut alors revenir chez Mme Keller, afin d’y reprendre sa petite fille.

Nous sortîmes tous les trois. En redescendant la rue, l’agent de Kalkreuth se croisa avec nous. Il me lança un coup d’œil qui me parut singulier. Et comme il venait du côté de la maison Keller, j’eus comme un pressentiment que le coquin se réjouissait d’avoir fait quelque mauvais coup.

Mme Keller, Mlle Marthe et ma sœur étaient dans la petite salle du bas. Elles me parurent troublées. Savaient-elles donc quelque chose ?

« Jean, dit Mme Keller, c’est une lettre que l’agent de Kalkreuth vient d’apporter pour toi ! »

Cette lettre portait le cachet de l’administration militaire.

Voici ce qu’elle contenait :

« Tous les jeunes gens d’origine prussienne, jusqu’à vingt-cinq ans, sont appelés au service. Le nommé Jean Keller est incorporé dans le régiment de Leib, en garnison à Belzingen. Il devra avoir rejoint demain, 1er  juillet, avant onze heures du matin. »