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une excursion de mrs. paulina barnett.

pesanteur spécifique, et qui s’en allait à la dérive, entraînant l’ours et le corps de la femme !

Mrs. Paulina Barnett jeta un cri et voulut s’élancer vers ce glaçon, avant qu’il n’eût été entraîné au large.

« Arrête, arrête encore, ma fille ! » répéta froidement Madge, qui la serrait d’une main convulsive.

Au bruit produit par la rupture du glaçon, l’ours avait reculé soudain ; poussant alors un grognement formidable, il abandonna le corps et se précipita vers le côté du rivage dont il était déjà séparé par une quarantaine de pieds ; comme une bête effarée, il fit en courant le tour de l’îlot, laboura le sol de ses griffes, fit voler autour de lui la neige et le sable, et revint près du corps inanimé.

Puis, à l’extrême stupéfaction des deux femmes, l’animal, saisissant ce corps par ses vêtements, le souleva de sa gueule, gagna le bord du glaçon qui faisait face au rivage de l’île, et se précipita à la mer.

En quelques brasses, l’ours, robuste nageur comme le sont tous ses congénères des régions arctiques, eut atteint le rivage de l’île. Un vigoureux effort lui permit de prendre pied sur le sol, et, là, il déposa le corps qu’il avait emporté.

En ce moment, Mrs. Paulina Barnett ne put se contenir, et sans songer au danger de se trouver face à face avec le redoutable carnassier, elle échappa à la main de Madge et s’élança vers le rivage.

L’ours, la voyant, se redressa sur ses pattes de derrière et vint droit à elle. Toutefois, à dix pas, il s’arrêta, il secoua son énorme tête ; puis, comme s’il eût perdu sa férocité naturelle sous l’influence de cette terreur qui semblait avoir métamorphosé toute la faune de l’île, il se retourna, poussa un grognement sourd, et s’en alla tranquillement vers l’intérieur, sans même regarder derrière lui.

Mrs. Paulina Barnett avait aussitôt couru vers ce corps étendu sur la neige.

Un cri s’échappa de sa poitrine.

« Madge ! Madge ! » s’écria-t-elle.

Madge s’approcha et considéra ce corps inanimé.

C’était le corps de la jeune Esquimaude Kalumah !