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une chance à tenter.

qui était vrai, d’ailleurs — que les hasards de la tempête avaient jeté la jeune Esquimaude sur le rivage de l’île.

Marbre, dans l’esprit duquel la révélation de ces choses s’était accomplie tout d’abord, avait fait part de ses idées au charpentier Mac Nap et au forgeron Raë. Tous trois envisagèrent froidement la situation et furent d’accord sur ce point qu’ils devaient prévenir non seulement leurs camarades, mais aussi leurs femmes. Puis tous s’étaient engagés à paraître ne rien savoir vis-à-vis de leur chef et à lui obéir aveuglément comme par le passé.

« Vous êtes de braves gens, mes amis, dit alors Mrs. Paulina Barnett, que cette délicatesse émut profondément, quand le chasseur Marbre eut donné ses explications, vous êtes d’honnêtes et courageux soldats !

— Et notre lieutenant, répondit Mac Nap, peut compter sur nous. Il a fait son devoir, nous ferons le nôtre.

— Oui, mes chers compagnons, dit Jasper Hobson, le ciel ne nous abandonnera pas, et nous l’aiderons à nous sauver ! »

Puis Jasper Hobson raconta tout ce qui s’était passé depuis cette époque où le tremblement de terre avait rompu l’isthme et fait une île des territoires continentaux du cap Bathurst. Il dit comment, sur la mer dégagée de glaces, au milieu du printemps, la nouvelle île avait été entraînée par un courant inconnu à plus de deux cents milles de la côte ; comment l’ouragan l’avait ramenée en vue de terre, puis éloignée de nouveau dans la nuit du 31 août ; comment enfin la courageuse Kalumah avait risqué sa vie pour venir au secours de ses amis d’Europe. Puis il fit connaître les changements survenus à l’île, qui se dissolvait peu à peu dans les eaux plus chaudes, et la crainte qu’on avait éprouvée, soit d’être entraînés jusque dans le Pacifique, soit d’être pris par le courant du Kamtchatka. Enfin, il apprit à ses compagnons que l’île errante s’était définitivement immobilisée à la date du 27 septembre dernier.

Enfin, la carte des mers arctiques ayant été apportée, Jasper Hobson montra la position même que l’île occupait à plus de six cents milles de toute terre.

Il termina en disant que la situation était extrêmement dangereuse, que l’île serait nécessairement broyée, quand s’opérerait la débâcle et qu’avant de recourir à l’embarcation, qui ne pourrait être utilisée que dans le prochain été, il fallait profiter de l’hiver pour rallier le continent américain, en se dirigeant à travers le champ de glace.

« Nous aurons six cents milles à faire, par le froid et dans la nuit. Ce sera dur, mes amis, mais vous comprenez comme moi qu’il n’y a pas à reculer.

— Quand vous donnerez le signal du départ, mon lieutenant, répondit Mac Nap, nous vous suivrons ! »