la chaloupe était détruite, et que la mer, libre enfin, n’offrait pas un point solide autour d’elle. En fait d’icebergs, il ne restait plus que ce reste de banquise, dont le sommet venait d’écraser le cap Bathurst, mais dont la base, profondément immergée, poussait l’île vers le sud.
En fouillant les ruines de la maison principale, on avait pu retrouver les instruments et les cartes de l’astronome que Thomas Black avait tout d’abord emportés avec lui, et qui n’avaient point été brisés fort heureusement. Le ciel était couvert de nuages, mais le soleil apparaissait parfois, et le lieutenant Hobson put prendre hauteur en temps utile et avec une approximation suffisante.
De cette observation, il résulta que, ce jour même, 12 mai, à midi, l’île Victoria occupait en longitude 168° 12′ à l’ouest du méridien de Greenwich, et en latitude 63° 27′. Le point, rapporté sur la carte, se trouvait être par le travers du golfe Norton, entre la pointe asiatique de Tchaplin et le cap américain Stephens, mais à plus de cent milles de l’une et de l’autre côte.
« Il faut donc renoncer à atterrir sur le continent ? dit alors Mrs. Paulina Barnett.
— Oui, madame, répondit Jasper Hobson, tout espoir est fermé de ce côté. Le courant nous porte au large avec une extrême vitesse, et nous ne pouvons compter que sur la rencontre d’un baleinier qui passerait en vue de l’île.
— Mais, reprit la voyageuse, si nous ne pouvons atterrir au continent, pourquoi le courant ne nous porterait-il pas sur une des îles de la mer de Behring ? »
C’était encore là un frêle espoir, et ces désespérés s’y accrochèrent, comme l’homme qui se noie à la planche de salut. Les îles ne manquaient pas à ces parages de la mer de Behring, Saint-Laurent, Saint-Mathieu, Nouniwak, Saint-Paul, Georges, etc. Précisément, l’île errante n’était pas très éloignée de Saint-Laurent, assez vaste terre entourée d’îlots, et, en tout cas, si on la manquait, il était permis d’espérer que ce semis des Aléoutiennes qui ferme la mer de Behring au sud, l’arrêterait dans sa marche.
Oui, sans doute ! l’île Saint-Laurent pouvait être un port de salut pour les hiverneurs. S’ils le manquaient, Saint-Mathieu et tout ce groupe d’îlots dont il forme le centre se trouveraient peut-être encore sur leur passage. Mais ces Aléoutiennes, dont plus de huit cents milles les séparaient, il ne fallait pas espérer les atteindre. Avant, bien avant, l’île Victoria, minée, dissoute par les eaux chaudes, fondue par ce soleil qui s’avançait déjà dans le signe des Gémeaux, serait abîmée au fond de la mer !