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le pays des fourrures.

Mais il s’agissait d’occuper la fin de cette journée. Mrs. Paulina Barnett, Jasper Hobson, deux ou trois soldats, Madge, Mrs. Mac Nap et Joliffe, guidés par Felton, allèrent visiter les rives voisines du lac. Ces rives n’étaient point dépourvues de verdure. Les coteaux, alors débarrassées des neiges, se montraient couronnés çà et là d’arbres résineux, de l’espèce des pins écossais. Ces arbres s’élevaient à une quarantaine de pieds au-dessus du sol, et ils fournissaient aux habitants du fort tout le combustible dont ils avaient besoin pendant les longs mois d’hiver. Leurs gros troncs, revêtus de branches flexibles, offraient une nuance grisâtre très caractérisée. Mais, formant d’épais massifs qui descendaient jusqu’aux rives du lac, uniformément groupés, droits, presque tous d’égale hauteur, ils donnaient peu de variété au paysage. Entre ces bouquets d’arbres, une sorte d’herbe blanchâtre revêtait le sol et parfumait l’atmosphère de la suave odeur du thym. Le sergent Felton apprit à ses hôtes que cette herbe, très odorante, portait le nom « d’herbe-encens », nom qu’elle justifiait, d’ailleurs, lorsqu’on la jetait sur des charbons ardents.

Les promeneurs quittèrent le fort, et, après avoir franchi quelques centaines de pas, ils arrivèrent près d’un petit port naturel, encaissé dans de hautes roches de granit, qui le défendaient contre le ressac du large. C’est là que s’amarrait la flottille du fort Confidence, consistant en un unique canot de pêche, — celui-là même qui, le lendemain, devait transporter Jasper Hobson et Mrs. Paulina Barnett au campement des Indiens. De ce point, le regard embrassait une grande partie du lac, ses coteaux boisés, ses rives capricieuses, déchiquetées de caps et de criques, ses eaux faiblement ondulées par la brise, et au-dessus desquelles quelques icebergs découpaient encore leur silhouette mobile. Dans le sud, l’œil s’arrêtait sur un véritable horizon de mer, ligne circulaire, nettement tracée par le ciel et l’eau, qui s’y confondaient alors sous l’éclat des rayons solaires.

Ce large espace, occupé par la surface liquide du Grand-Ours, les rives semées de cailloux et de blocs de granit, les talus tapissés d’herbes, les collines, les arbres qui les couronnaient, offraient partout l’image de la vie végétale et animale. De nombreuses variétés de canards couraient sur les eaux, en jacassant à grand bruit : c’étaient des eiders-ducks, des siffleurs, des arlequins, des « vieilles femmes », oiseaux bavards dont le bec n’est jamais fermé. Quelques centaines de puffins et de guillemots s’enfuyaient à tire-d’aile en toute direction. Sous le couvert des arbres se pavanaient des orfraies, hautes de deux pieds, sortes de faucons dont le ventre est gris-cendré, les pattes et le bec bleus, les yeux jaune orange. Les nids de ces volatiles, accrochés aux fourches des arbres, et formés d’herbes marines, présentaient un volume énorme. Le chasseur Sabine