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le lac du grand-ours.

parvint à abattre une couple de ces gigantesques orfraies, dont l’envergure mesurait près de six pieds, — magnifiques échantillons de ces oiseaux voyageurs, exclusivement ichtyophages, que l’hiver chasse jusqu’aux rivages du golfe du Mexique, et que l’été ramène vers les plus hautes latitudes de l’Amérique septentrionale.

Mais ce qui intéressa particulièrement les promeneurs, ce fut la capture d’une loutre, dont la peau valait plusieurs centaines de roubles.

La fourrure de ces précieux amphibies était autrefois très recherchée en Chine. Mais, si ces peaux ont notablement baissé sur les marchés du Céleste Empire, elles sont encore en grande faveur sur les marchés de la Russie. Là, leur débit est toujours assuré, et à de très hauts prix. Aussi les commerçants russes, exploitant toutes les frontières du Nouveau-Cornouailles jusqu’à l’océan Arctique, pourchassent-ils incessamment les loutres marines, dont l’espèce tend singulièrement à se raréfier. Telle est la raison pour laquelle ces animaux fuient constamment devant les chasseurs, qui ont dû les poursuivre jusque sur les rivages du Kamtchatka et dans toutes les îles de l’archipel de Béring.

« Mais, ajouta le sergent Felton, après avoir donné ces détails à ses hôtes, les loutres américaines ne sont pas à dédaigner, et celles qui fréquentent le lac du Grand-Ours valent encore de deux cent cinquante à trois cents francs la pièce. »

C’étaient, en effet, des loutres magnifiques que celles qui vivaient sous les eaux du lac. L’un de ces mammifères, adroitement tiré et tué par le sergent lui-même, valait presque les enhydres du Kamtchatka. Cette bête, longue de deux pieds et demi depuis l’extrémité du museau jusqu’au bout de la queue, avait les pieds palmés, les jambes courtes, le pelage brunâtre, plus foncé au dos, plus clair au ventre, des poils soyeux, longs et luisants.

« Un beau coup de fusil, sergent ! dit le lieutenant Hobson, qui faisait admirer à Mrs. Paulina Barnett la magnifique fourrure de l’animal abattu.

— En effet, monsieur Hobson, répondit le sergent Felton, et si chaque jour apportait ainsi sa peau de loutre, nous n’aurions pas à nous plaindre ! Mais que de temps perdu à guetter ces animaux, qui nagent et plongent avec une rapidité extrême ! Ils ne chassent guère que pendant la nuit, et il est très rare qu’ils se hasardent de jour hors de leur gîte, tronc d’arbre ou cavité de roche, fort difficile à découvrir, même aux chasseurs exercés.

— Et ces loutres deviennent de moins en moins nombreuses ? demanda Mrs. Paulina Barnett.

— Oui, madame, répondit le sergent, et le jour où cette espèce aura disparu, les bénéfices de la Compagnie décroîtront dans une proportion notable. Tous les chasseurs se disputent cette fourrure, et les Américains,