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le sphinx des glaces

au printemps et à l’automne, des vents d’une telle violence qu’ils arrachent les légumes des potagers.

Il est vrai, quelques promenades m’eussent suffi pour reconnaître que l’Équateur me séparait toujours des parages de l’Europe septentrionale.

En effet, aux environs de Port-Egmont, que j’explorai pendant les premiers jours, que me fut-il donné d’observer ? Rien que les indices d’une végétation maladive, nulle part arborescente. Çà et là ne poussaient que de rares arbustes, au lieu de ces admirables sapinières des montagnes norvégiennes, — tels le bolax, une sorte de glaïeul, étroit comme un jonc de six à sept pieds, qui distille une gomme aromatique, des valérianes, des bomarées, des usnées, des fétuques, des cénomyces, des azorelles, des cytises rampants, des bionies, des stipas, des calcéolaires, des hépathiques, des violettes, des vinaigrettes, et des plants de ce céleri rouge et blanc, si bienfaisant contre les affections scorbutiques. Puis, à la surface d’un sol tourbeux, qui fléchit et se relève sous le pied, s’étendait un tapis bariolé de mousses, de sphaignes, d’againes, de lichens… Non ! ce n’était pas cette contrée attrayante, où retentissent les échos des sagas, ce n’était pas ce poétique domaine d’Odin, des Erses et des Valkyries !

Sur les eaux profondes du détroit de Falkland, qui sépare les deux principales îles, s’étalaient d’extraordinaires végétations aquatiques, ces baudeux, que soutient un chapelet de petites ampoules gonflées d’air, et qui appartiennent uniquement à la flore falklandaise.

Reconnaissons aussi que les baies de cet archipel, où les baleines se raréfiaient déjà, étaient fréquentées par d’autres mammifères marins de taille énorme, — des phoques otaries à crinière de chèvre, longs de vingt-cinq pieds sur une vingtaine de circonférence, et, par bandes, des éléphants, loups ou lions de mer, de proportions non moins gigantesques. On ne saurait se figurer la violence des cris que poussent ces amphibies, — particulièrement les femelles et les jeunes. C’est à croire que des troupeaux de bœufs mugissent sur ces