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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/328

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le sphinx des glaces

— Mais ce nom de Hunt ?

— Je ne voulais plus du mien… non !… je n’en voulais plus… à cause de l’affaire du Grampus ! »

Le métis venait de faire allusion à cette scène de la courte paille, à bord du brick américain, lorsqu’il fut décidé entre Auguste Barnard, Arthur Pym, Dirk Peters et le matelot Parker, que l’un des quatre serait sacrifié… qu’il servirait de nourriture aux trois autres… Je me rappelais la résistance opiniâtre d’Arthur Pym, et comment il fut dans l’obligation de ne point refuser son « franc jeu dans la tragédie qui allait se jouer vivement — telle est sa propre phrase, — et l’horrible acte dont le cruel souvenir devait empoisonner l’existence de tous ceux qui y avaient survécu… ».

Oui ! la courte paille, — de petits éclats de bois, des esquilles de longueur inégale, qu’Arthur Pym tenait dans sa main… La plus courte désignerait celui qui serait immolé… Et il parle de cette sorte d’involontaire férocité qu’il éprouva de tromper ses compagnons, de « tricher » — c’est le mot dont il se sert… Mais il ne le fit pas et demande pardon d’en avoir eu l’idée !… Que l’on veuille bien se mettre dans une position semblable à la sienne !…

Puis, il se décide, il présente sa main refermée sur les quatre esquilles…

Dirk Peters tire le premier… Le sort l’a favorisé… Il n’a plus rien à craindre.

Arthur Pym calcule qu’il existe une chance de plus contre lui.

Auguste Barnard tire à son tour… Sauvé aussi, celui-là !

Et maintenant Arthur Pym chiffre les chances qui sont égales entre Parker et lui…

À ce moment, toute la férocité du tigre s’empare de son âme… Il éprouve contre son pauvre camarade, son semblable, la haine la plus intense et la plus diabolique…

Cinq minutes s’écoulent avant que Parker ose tirer… Enfin Arthur Pym, les yeux fermés, ne sachant si le sort avait été pour ou contre lui, sent une main saisir la sienne…