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terre ?…

de cinq à six pieds, furent ramenés à bord. C’étaient de véritables chapelets à millions de grains, formés par une agglomération de petits mollusques aux couleurs étincelantes.

Des baleines, empanachées des jets de leurs évents, apparurent au large, et je remarquai que toutes prenaient la route du sud. Il y avait donc lieu d’admettre que la mer s’étendait au loin dans cette direction.

La goélette gagna deux à trois milles, sans essayer d’accroître sa vitesse. Cette côte, vue pour la première fois, se développait-elle du nord-ouest au sud-est ?… aucun doute à ce sujet. Néanmoins, les longues-vues n’en pouvaient saisir aucun détail, — même après trois heures de navigation.

L’équipage, rassemblé sur le gaillard d’avant, regardait sans laisser voir ses impressions. Jem West, après s’être hissé aux barres du mât de misaine, où il était resté dix minutes en observation, n’avait rien rapporté de précis.

Posté à bâbord, à l’arrière du rouf, accoudé au bastingage, je suivais du regard la ligne du ciel et de la mer dont la circularité s’interrompait seulement à l’est. En ce moment, le bosseman me rejoignit, et, sans autre préparation, me dit :

« Voulez-vous permettre que je vous donne mon idée, monsieur Jeorling ?…

— Donnez, bosseman, sauf à ce que je ne l’adopte point, si elle ne me paraît pas juste, répondis-je.

— Elle l’est, et, à mesure que nous approchons, il faudrait être aveugle pour ne pas s’y ranger.

— Et quelle idée avez-vous ?…

— Que ce n’est point une terre qui se présente devant nous, monsieur Jeorling…

— Vous dites… bosseman ?…

— Regardez attentivement… en mettant un doigt en avant de vos yeux… tenez… par le bossoir de tribord… »