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la goélette halbrane

Non ! ni le capitaine Len Guy ni personne du bord ne vinrent honorer de leur présence le Cormoran-Vert. Je dus dîner seul, comme je le faisais chaque jour depuis deux mois déjà, car, on se le figure aisément, les clients de maître Atkins ne se renouvelaient guère pendant la mauvaise saison.

Le repas terminé, vers sept heures et demie, la nuit faite, j’allai me promener sur le port, du côté des maisons.

Le quai était désert. Les fenêtres de l’auberge donnaient un peu de clarté. De l’équipage de l’Halbrane, pas un homme à terre. Les canots avaient rallié, et, au bout de leur bosse, se balançaient dans le clapotis de la mer montante.

C’était, vraiment, comme un poste de caserne, ce schooner, où l’on consignait les matelots dès le coucher du soleil. Cette mesure devait singulièrement contrarier ce bavard et ce buveur d’Hurliguerly, trop enclin, je le supposais, à courir d’un cabaret à l’autre, au cours des relâches. Je ne l’aperçus pas plus que son capitaine aux alentours du Cormoran-Vert.

Je restai jusqu’à neuf heures, faisant les cent pas par le travers de la goélette. Graduellement la masse du navire s’était assombrie. Les eaux de la baie ne reflétaient plus qu’un tire-bouchon de lumière, celle du fanal de l’avant, suspendu à l’étai de misaine.

Je revins à l’auberge, où je trouvai Fenimore Atkins fumant sa pipe près de la porte.

« Atkins, lui dis-je, il paraît que le capitaine Len Guy n’aime point à fréquenter votre auberge ?…

— Il y vient quelquefois le dimanche, et c’est aujourd’hui samedi, monsieur Jeorling…

— Vous ne lui avez pas parlé ?…

— Si… me répondit mon hôtelier, d’un ton qui dénotait un visible embarras.

— Vous lui avez annoncé qu’une personne de votre connaissance désirait s’embarquer sur l’Halbrane ?…

— Oui.