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le roman d’edgar poe

du pôle. À l’extrémité de deux pagaies, dressées en abord de l’embarcation, fut installée une voile faite avec les chemises liées ensemble de Dirk Peters et de son compagnon, — chemises blanches dont la couleur affecta d’épouvante l’indigène prisonnier, qui répondait au nom de Nu-Nu. Durant huit jours, se continua cette étrange navigation favorisée par une brise douce du nord, avec un jour permanent, sur une mer sans un morceau de glace, et, d’ailleurs, grâce à la température unie, élevée de l’eau, on n’en avait pas aperçu un seul depuis le parallèle de l’îlot Bennet.

C’est alors qu’Arthur Pym et Dirk Peters entrèrent dans une région de nouveauté et d’étonnement. À l’horizon se dressait une large barrière de vapeur grise et légère ; empanachée de longues raies lumineuses, telles qu’en projettent les aurores polaires. Un courant de grande force venait en aide à la brise. L’embarcation filait sur une surface liquide excessivement chaude et d’apparence laiteuse, qui semblait être agitée par en dessous. Une cendre blanchâtre vint à tomber, — ce qui redoubla les terreurs de Nu-Nu, dont les lèvres se relevaient sur une denture noire…

Le 9 mars, il y eut redoublement de cette pluie et accroissement de la température de l’eau, que la main ne pouvait même plus supporter. L’immense rideau de vapeur, tendu sur le lointain périmètre de l’horizon méridional, ressemblait à une cataracte sans limites, roulant en silence du haut de quelque immense rempart perdu dans les hauteurs du ciel…

Douze jours après, ce sont les ténèbres qui planent sur ces parages, ténèbres sillonnées par les effluves lumineux s’échappant des profondeurs laiteuses de l’océan Antarctique, où venait se fondre l’incessante averse cendreuse…

L’embarcation s’approchait de la cataracte avec une impétueuse vélocité, dont la raison n’est point indiquée dans le récit d’Arthur Pym. Parfois la nappe se fendait, laissant apercevoir en arrière un chaos d’images flottantes et indistinctes, secouées par de puissants courants d’air…