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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/95

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« comme un linceul qui s’entrouvre ! »

qu’une roche, car elles sont un jour ici, un autre là-bas, et comment les parer ?… »

Hurliguerly venait de s’approcher.

« Qu’en pensez-vous, bosseman ? » lui demandai-je, lorsqu’il se fut accoudé près de moi.

Hurliguerly regarda avec attention, et comme la goélette, servie par une fraîche brise, gagnait rapidement vers la masse, il devenait plus facile de se prononcer.

« À mon avis, monsieur Jeorling, répliqua le bosseman, ce que nous voyons là n’est ni un souffleur ni une épave, mais tout simplement un glaçon…

— Un glaçon ?… m’écriai-je.

— Hurliguerly ne se trompe pas, affirma Jem West. Il s’agit bien d’un glaçon, un morceau d’ice-berg que les courants ont entraîné…

— Comment, ai-je repris, entraîné jusqu’au quarante-cinquième parallèle ?…

— Cela se voit, monsieur, répondit le lieutenant, et les glaces remontent parfois jusque par le travers du Cap, à en croire un navigateur français, le capitaine Blosseville, qui en aurait rencontré à cette hauteur en 1828.

— Alors celui-là ne peut tarder à se fondre ?… déclarai-je, assez étonné que le lieutenant West m’eût honoré d’une aussi longue réponse.

— Il doit même s’être dissous en grande partie, affirma le lieutenant, et ce que nous voyons est certainement ce qui reste d’une montagne de glace qui devait peser des millions de tonnes. »

Le capitaine Len Guy venait de sortir du rouf. Lorsqu’il aperçut le groupe de matelots rangés autour de Jem West, il se dirigea vers l’avant.

Après quelques mots échangés à voix basse, le lieutenant lui passa sa longue-vue.

Len Guy la braqua sur l’objet flottant dont la goélette s’était