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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/96

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le sphinx des glaces

rapprochée d’un mille environ, et, après l’avoir observé près d’une minute :

« C’est un glaçon, dit-il, et il est heureux qu’il se dissolve. L’Halbrane aurait pu se faire de graves avaries en se jetant dessus pendant la nuit… »

Je fus frappé du soin que le capitaine Len Guy mettait à son observation. Il semblait que ses regards ne pussent quitter l’oculaire de la longue-vue, devenu, pour ainsi dire, la pupille de son œil. Il demeurait immobile, comme s’il eût été cloué au pont. Insensible au roulis et au tangage, les deux bras rigides, grâce à sa grande habitude, il maintenait imperturbablement le glaçon dans le champ de l’objectif. Son visage hâlé présentait çà et là des plaques hectiques, des taches de pâleur, et de ses lèvres s’échappaient de vagues paroles.

Quelques minutes s’écoulèrent. L’Halbrane, sous rapide allure, était sur le point de dépasser le glaçon en dérive.

« Laissez porter d’un quart », dit le capitaine Len Guy, sans abaisser sa longue-vue.

Je devinai ce qui se passait dans l’esprit de cet homme sous l’obsession d’une idée fixe. Ce morceau de glace, arraché de la banquise australe, venait de ces parages où sa pensée l’entraînait sans cesse. Il voulait le voir de plus près… peut-être l’accoster… peut-être en recueillir quelque débris…

Cependant, sur l’ordre transmis par Jem West, le bosseman avait légèrement fait mollir les écoutes, et la goélette, arrivant d’un quart, se dirigea vers le glaçon. Nous n’en fûmes bientôt qu’à deux encablures, et je pus l’examiner.

Ainsi que cela avait été remarqué, la tumescence centrale fondait de toutes parts. Des filets liquides s’égouttaient le long de ses parois. Au mois de septembre de cette année si précoce, le soleil possédait assez de force pour provoquer la dissolution, l’activer, la précipiter même.

Assurément, avant la fin de la journée, il ne resterait plus rien de