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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

— Oh ! ce qu’il y a dans les livres !… répondit le sergent Martial, très incrédule à l’endroit des récits de voyages.

— Tu as tort, mon oncle. Cela est très croyable, et j’ajoute que cela est très certain.

— Bon… bon !… Dans tous les cas, si la chose est vraie, je ne pense pas, comme le prétend M. Miguel, qu’il y ait grand danger à rencontrer tant de tortues sur sa route !

— Cependant… si elles vous barrent le chemin…

— Eh bien… on passe par-dessus, que diable !

— Et le risque d’être écrasé, si, par malheur, l’on fait une chute au milieu de ces bêtes…

— N’importe !… Je voudrais le voir pour le croire…

— Nous arrivons un peu tard, répondit Jean, et il y a quatre mois, à l’époque de la ponte, tu aurais pu juger de tes propres yeux…

— Non, Jean, non !… Tout cela, c’est des histoires que les voyageurs inventent pour attraper les braves gens qui préfèrent rester chez eux…

— Il y en a de très véridiques, mon bon Martial.

— S’il existe tant de tortues que cela, il est étonnant que nous n’en apercevions pas une seule !… Vois-tu ces bancs de sable disparaissant sous des carapaces !… Tiens… je ne suis pas exigeant… je ne demande pas à les compter par centaines de mille, ces tortues, mais rien qu’une cinquantaine… une dizaine… d’autant que, puisque cela fait de si bon pot-au-feu, j’aurais plaisir à tremper mon pain dans un bouillon de cette espèce…

— Tu me donnerais bien la moitié de ta gamelle, n’est-ce pas, mon oncle ?

— Et pourquoi, s’il te plaît ?… Rien qu’avec cinq ou six mille de ces bêtes-là, il y aurait de quoi remplir ta gamelle et la mienne, je pense… Mais pas une… pas une !… Où peuvent-elles s’être cachées ?… Dans la cervelle de notre Indien, sans doute ! »

Il était difficile de pousser l’incrédulité plus loin. Si le sergent Martial n’apercevait pas un de ces chéloniens nomades, ce n’était pourtant