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ENTRE BUENA VISTA ET LA URBANA.

pas faute de regarder, et, vraiment, il finirait par y user sa lunette.

Cependant les deux pirogues continuaient à remonter de conserve sous la poussée du vent. Tant qu’elles purent suivre la rive gauche, la brise demeura favorable, et il n’y eut pas lieu d’employer les palancas. La navigation continua de la sorte jusqu’à l’embouchure de l’Arauca, important tributaire de l’Orénoque, auquel il verse une partie des eaux nées sur le versant même de la chaîne des Andes, et qui ne se mélange d’aucun autre affluent, tant son bassin est étroitement limité.

La remontée se poursuivit pendant la matinée et, vers onze heures, il fut nécessaire de traverser le fleuve, puisque la Urbana est située sur la rive droite.

Là, les difficultés commencèrent, et assez grandes pour occasionner des retards. Entre ces bancs d’un sable très fin, alors rétrécis par la surélévation des eaux, les passes présentaient des coudes brusques. Par instant, au lieu du vent arrière, les falcas trouvaient le vent debout. De là, l’obligation d’amener les voiles, de marcher avec les palancas, et, comme il fallait rebrousser un courant rapide, on dut recourir à tous les bras afin de ne pas être ramené en aval.

Les montres marquaient donc deux heures de l’après-midi, lorsque la Gallinetta et la Maripare, l’une précédant l’autre, atteignirent une île baptisée du même nom que la bourgade. D’un aspect différent de celui des llanos riverains, cette île était boisée, et même laissait voir quelques essais de culture. C’est chose rare en cette portion du fleuve, où les Indiens ne connaissent guère d’autre occupation que la chasse, la pêche, la récolte des œufs de tortues, — récolte si abondante qu’elle nécessite un grand nombre de travailleurs, quoi qu’en pût penser le sergent Martial.

Comme les mariniers se sentaient très fatigués de leur manœuvre opérée sous un ciel brûlé des feux de la méridienne, les patrons jugèrent opportun de leur accorder une heure qui serait consacrée au repas d’abord, au repos ensuite. On aurait toujours le temps de gagner la Urbana avant le soir. En effet, dès que l’île serait contour-