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RELÂCHE AU VILLAGE D’ATURES.

session, car ils seraient tombés dans les tourbillons du rapide.

Il est vraiment curieux, cet Orénoque, lorsque ses eaux furieuses se précipitent à travers ce raudal d’Atures, qui est le plus long et le plus impraticable peut-être de son cours. Que l’on se figure les assourdissantes rumeurs des cataractes, les vapeurs pulvérisées qui les couronnent, le charriage des troncs, arrachés aux rives par la violence du torrent et choqués contre les rocs émergés, les portions de berge qui se détachent par instants et menacent l’étroit sentier tracé à leur surface. C’est à se demander comment des pirogues peuvent le franchir sans y laisser les bordages de leurs flancs ou de leurs fonds. Et, en vérité, les passagers de la Gallinetta, de la Moriche et de la Maripare ne seraient rassurés qu’à l’heure où ils verraient apparaître leurs embarcations au port d’Atures.

La petite troupe, dont la marche n’avait été interrompue ni par un incident, ni par un accident, fit halte au village, un peu après deux heures de l’après-midi.

À cette époque, Atures était tel encore que l’avait trouvé l’explorateur français cinq ans auparavant, tel qu’il restera sans doute, si l’on s’en tient aux pronostics d’Élisée Reclus, relativement à ces villages du moyen Orénoque. Tant que les voyageurs des trois pirogues ne seraient pas arrivés à San-Fernando, ils ne rencontreraient aucune bourgade de quelque importance. Et, au-delà, c’est le désert ou à peu près, même sur les vastes bassins du Rio Negro et de l’Amazone.

Sept ou huit cases, c’était tout Atures, une trentaine d’Indiens, toute sa population. Là, encore, les indigènes s’occupent à l’élevage des bestiaux, mais on chercherait vainement, en amont du fleuve, des llaneros qui se livrent à ce travail. On n’y voit plus que des passages de bêtes à cornes, lorsque l’époque est venue de « transhumer » les troupeaux d’un territoire à un autre.

M. Miguel et ses deux compagnons, le sergent Martial et Jean, Jacques Helloch et Germain Paterne durent donc s’accommoder des