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Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/217

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LE CHUBASCO.

« Allons, mes amis, cria-t-il à haute voix, un dernier effort !… Vous ne vous en repentirez pas et serez bien payés de vos peines !… Il y a deux piastres pour chacun de vous, si nous sommes amarrés au quai de San-Fernando avant ce soir ! »

Les compagnons de M. Miguel se rendirent garants de cette promesse. Alléchés par la prime offerte, les équipages des trois pirogues parurent disposés à faire l’impossible pour l’empêcher. Et, étant donné les circonstances dans lesquelles on leur demandait ce supplément d’énergie, les deux piastres seraient très justement gagnées.

Les embarcations se trouvaient alors par le travers du Guaviare, dont l’embouchure échancre profondément la rive gauche de l’Orénoque, à moins que ce ne soit l’Orénoque qui creuse profondément la rive droite du Guaviare, en cas que M. Varinas aurait raison contre MM. Miguel et Felipe.

On ne s’étonnera donc pas si le défenseur du Guaviare, sa lorgnette aux yeux, promenait ses regards ardents sur ce large estuaire par lequel se déversaient les eaux argileuses et jaunâtres de son fleuve favori. Et, on ne s’étonnera pas davantage si M. Felipe, affectant le plus parfait dédain, lorsque sa pirogue passa à l’ouvert de cette embouchure, demanda d’un ton ironique, bien qu’il sût à quoi s’en tenir :

« Quel est donc ce ruisseau ?… »

Un ruisseau, ce Guaviare, que les bâtiments peuvent remonter sur un millier de kilomètres… un ruisseau dont les affluents arrosent ce territoire jusqu’à la base des Andes… un ruisseau dont l’apport est de trois mille deux cents mètres cubes par seconde !…

Et pourtant, à la méprisante question de M. Felipe, personne ne répondit, personne n’eut le temps de répondre, ou plutôt la réponse ne fut que ce mot, jeté soudain par les mariniers des trois falcas :

« Chubasco… chubasco ! »

En effet, tel est le nom indien du terrible coup de vent qui venait de se déchaîner à la limite de l’horizon. Ce chubasco fonçait sur le lit de l’Orénoque comme une avalanche. Et, — ce qui eût paru étrange, inexplicable à quiconque n’eût pas été familiarisé avec ces phéno-