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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

mènes particuliers aux llanos vénézuéliens, — c’est en partant du nord-ouest qu’il se précipita à leur surface.

Un instant avant, l’atmosphère était calme, — plus que calme, lourde, épaisse, un air solidifié. Les nuages, saturés d’électricité, envahissaient le ciel, et, au lieu de monter du sud, la tempête éclata sur l’horizon opposé. Le vent rencontra presque au zénith ces masses de vapeurs, il les dispersa, il en amoncela d’autres, emplies de souffles, de grêles, de pluies, qui bouleversèrent ce carrefour fluvial, où se mélangent les eaux d’un fleuve puissant et de ses deux grands tributaires.

Le chubasco eut pour effet, en premier lieu, d’écarter les embarcations de l’embouchure du Guaviare, et, en second lieu, non seulement de les maintenir contre le courant sans l’aide des palancas, mais de les pousser obliquement dans la direction de San-Fernando. Si la tourmente ne les mettait pas en danger, les passagers n’auraient pas lieu de regretter la direction qu’elle imprimait aux trois pirogues.

Ce qui n’est que trop réel, par malheur, c’est que ces chubascos sont le plus souvent féconds en désastres. Qui n’en a pas été témoin ne pourrait se faire une idée de leur impétuosité. Ils engendrent des rafales cinglantes, mélangées de grêlons, dont on ne supporterait pas impunément le choc, mitraille pénétrante qui traverse le paillis des roufs.

En entendant le cri de « chubasco… chubasco ! » les passagers s’étaient mis à l’abri. Comme, en prévision de ce « coup de chien », suivant l’expression des matelots, les voiles avaient été amenées et les mâts rabattus, la Maripare, la Moriche et la Gallinetta purent résister au premier choc de la bourrasque. Cependant ces précautions n’avaient pas éloigné tout danger. Il en était d’autres que le risque de chavirer. Poussées avec cette fureur, balayées de lames déferlantes comme celles d’un océan, les falcas se jetèrent les unes sur les autres, s’entrechoquèrent, menaçant de s’ouvrir ou de se fracasser contre les récifs de la rive droite. En admettant que les passagers parvinssent à se sauver sur la berge, leur matériel serait entièrement perdu.

Et, à présent, les embarcations bondissaient à la surface démon-