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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

charité, à l’édifier sur de si solides bases, qu’elle ne menacerait pas de s’écrouler après lui.

Pour tout personnel, en arrivant au milieu de ce désert, le Père Esperante n’avait qu’un jeune compagnon, nommé Angelos. Ce novice des missions étrangères, alors âgé de vingt ans, était enflammé comme lui de ce zèle apostolique qui accomplit des prodiges et des miracles. Tous les deux, — au prix de quelles difficultés et de quels dangers ! — sans jamais faiblir, sans jamais reculer, ils avaient créé, développé, organisé cette Mission de Santa-Juana, ils avaient régénéré toute une tribu au double point de vue moral et physique, constitué une population qui, à cette heure, se chiffrait par un millier d’habitants, en y comprenant ceux des llanos du voisinage.

C’était à une cinquantaine de kilomètres dans le nord-est des sources du fleuve et de l’embouchure du rio Torrida que le missionnaire avait choisi l’emplacement de la future bourgade. Choix heureux, s’il en fût, — un sol d’une étonnante fertilité où croissaient les plus utiles essences, arbres et arbrisseaux, entre autres ces marimas dont l’écorce forme une sorte de feutre naturel, des bananiers, des platanes, des cafiers ou caféiers qui se couvrent à l’ombre des grands arbres de fleurs écarlates, des bucares, des caoutchoucs, des cacaoyers, puis des champs de cannes à sucre et de salsepareille, des plantations de ce tabac d’où l’on tire le « cura nigra » pour la consommation locale et le « cura seca » mélangé de salpêtre, pour l’exportation, les tonkas dont les fèves sont extrêmement recherchées, les sarrapias dont les gousses servent d’aromates. Un peu de travail, et ces champs défrichés, labourés, ensemencés, allaient donner en abondance les racines de manioc, les cannes à sucre, et cet inépuisable maïs, qui produit quatre récoltes annuelles avec près de quatre cents grains pour le seul grain dont l’épi a germé.

Si le sol de cette contrée possédait une si merveilleuse fertilité que devaient accroître les bonnes méthodes de culture, c’est qu’il était vierge encore. Rien n’avait épuisé sa puissance végétative. De