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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

sables au début de leur établissement. Le reste du matériel devait leur être envoyé au fur et à mesure des besoins de la petite colonie. Les falcas remontèrent le fleuve, relâchant aux principales bourgades et aux ranchos riverains, et elles atteignirent le rio Torrida, sur le territoire des Guaharibos.

Après plus d’une tentative infructueuse, après bien des déboires, bien des dangers, les Indiens furent entraînés par les promesses du Père Esperante, par sa bonté, par sa générosité. Un village prit place sur la carte, auquel le missionnaire donna le nom de Santa-Juana, — Juana, ce nom qui avait été celui de sa fille…

Quatorze ans s’écoulèrent. La Mission avait prospéré, on sait dans quelles conditions. Il semblait donc que rien ne relierait plus le Père Esperante à son douloureux passé, lorsque se produisirent les événements sur lesquels repose cette histoire.

Après les paroles du sergent Martial, le colonel avait pressé Jeanne dans ses bras, et ce fut comme un baptême de larmes qu’il répandit sur le front de son enfant. En quelques mots, la jeune fille lui raconta sa vie, son sauvetage à bord du Vigo, son existence dans la famille Eredia à la Havane, son retour en France, les quelques années vécues dans la maison de Chantenay, la résolution qui fut prise dès que le sergent Martial et elle eurent connaissance de la lettre écrite de San-Fernando, le départ pour le Venezuela sous le nom et l’habit de Jean, le voyage sur l’Orénoque, l’attaque du forçat Alfaniz et des Quivas au gué de Frascaès, et enfin cette miraculeuse délivrance…

Tous deux revinrent alors vers la charrette, près du vieux soldat. Le sergent Martial se sentait ranimé. Il rayonnait… il pleurait aussi, et toujours ces mots qui s’échappaient de ses lèvres :

« Mon colonel… mon colonel !… maintenant que notre Jeanne a retrouvé son père… je puis mourir…

— Je te le défends bien, mon vieux compagnon !

— Ah ! si vous me le défendez…

— Nous te soignerons… nous te guérirons…