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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

exigeait une parfaite sûreté de main dans le maniement de la pagaie d’arrière, mais il fallait veiller aux troncs en dérive et se garer de leurs chocs. Ces arbres étaient détachés de l’île de Zamuro, laquelle commençait déjà à s’en aller par morceaux depuis quelques années. Les passagers des pirogues purent constater que cette île, rongée par les infiltrations, touchait à sa destruction complète.

Les falcas vinrent passer la nuit à la pointe amont de l’île Casimirito. Elles trouvèrent en cet endroit un suffisant refuge contre la bourrasque, qui se déchaînait avec une rare violence. Quelques cases abandonnées, servant habituellement aux pêcheurs de tortues, assurèrent aux passagers un abri plus sérieux que celui des roufs. Il s’agit des passagers de la Maripare, car ceux de la Gallinetta ne descendirent pas à terre, malgré l’invitation qui leur fut faite.

D’ailleurs, il n’était peut-être pas très prudent de prendre pied sur l’île Casimirito qui est peuplée de singes et aussi de pumas et de jaguars. Très heureusement, la tempête engagea ces fauves à rester au fond de leurs repaires, car le campement ne fut point attaqué. Il est vrai, certains rauquements sauvages se propagèrent à travers les accalmies des rafales, et aussi quelques bruyantes vociférations de ces singes, si dignes du qualificatif de hurleurs, dont les naturalistes les ont gratifiés.

Le lendemain, meilleure apparence du ciel. Les nuages s’étaient abaissés pendant la nuit. À la grosse pluie formée dans les zones élevées, succédait une pluie fine, presque de l’eau pulvérisée, qui cessa même au lever du jour.

Le soleil reparut par intervalles, et la brise, franchement établie au nord-est, permit aux falcas de naviguer grand largue, — le fleuve faisant un crochet vers l’ouest jusqu’au-delà de Buena Vista, avant de se diriger vers le sud.

Le lit de l’Orénoque, très élargi, offrait alors un aspect qui devait frapper Jean de Kermor et le sergent Martial en leur qualité de Nantais. De là vint que celui-ci ne put retenir cette observation :

« Hé ! mon neveu, regarde donc un peu où nous sommes aujourd’hui… »