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LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM

Un rapide courant le poussa alors dans une masse d’eau qui mesurait sept à huit pieds de profondeur. Il n’avait pas besoin de s’orienter, car le courant le conduisait comme s’il eût tenu un fil d’Ariane. Il s’aperçut presque aussitôt qu’il était entré dans un étroit canal, sorte de boyau, que le trop-plein de la rivière emplissait tout entier.

« Quelle est la longueur de ce boyau ? se demanda Marcel. Tout est là ! Si je ne l’ai pas franchi en un quart d’heure, l’air me manquera, et je suis perdu ! »

Marcel avait conservé tout son sang-froid. Depuis dix minutes, le courant le poussait ainsi, quand il se heurta à un obstacle.

C’était une grille de fer, montée sur gonds, qui fermait le canal.

« Je devais le craindre ! » se dit simplement Marcel.

Et, sans perdre une seconde, il tira la scie de sa poche, et commença à scier le pêne à l’affleurement de la gâche.

Cinq minutes de travail n’avaient pas encore détaché ce pêne. La grille restait obstinément fermée. Déjà Marcel ne respirait plus qu’avec une difficulté extrême. L’air, très-raréfié dans le réservoir, ne lui arrivait qu’en une insuffisante quantité. Des bourdonnements aux oreilles, le sang aux yeux, la congestion le prenant à la tête, tout indiquait qu’une imminente asphyxie allait le foudroyer ! Il résistait, cependant, il retenait sa respiration afin de consommer le moins possible de cet oxygène que ses poumons étaient impropres à dégager de ce milieu !… mais le pêne ne cédait pas, quoique largement entamé !

À ce moment, la scie lui échappa.

« Dieu ne peut être contre moi ! » pensa-t-il.

Et, secouant la grille à deux mains, il le fit avec cette vigueur que donne le suprême instinct de la conservation.

La grille s’ouvrit. Le pêne était brisé, et le courant emporta l’infortuné Marcel, presque entièrement suffoqué, et qui s’épuisait à aspirer les dernières molécules d’air du réservoir !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le lendemain, lorsque les gens de Herr Schultze pénétrèrent dans l’édifice entièrement dévoré par l’incendie, ils ne trouvèrent ni parmi les débris, ni dans les cendres chaudes, rien qui restât d’un être humain. Il était donc certain que le courageux ouvrier avait été victime de son dévouement. Cela n’étonnait pas ceux qui l’avaient connu dans les ateliers de l’usine.

Le modèle si précieux n’avait donc pas pu être sauvé, mais l’homme qui possédait les secrets du Roi de l’Acier était mort.