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UN DÎNER CHEZ LE DOCTEUR SARRASIN

l’héritage de la Bégum. En tout cas, ils savaient l’attirer dans leurs poches par un mouvement lent, mais continu.

Dans cette existence nouvelle, les liens qui attachaient Octave à Marcel Bruckmann s’étaient vite relâchés. À peine, de loin en loin, les deux camarades échangeaient-ils une lettre. Que pouvait-il y avoir de commun entre l’âpre travailleur, uniquement occupé d’amener son intelligence à un degré supérieur de culture et de force, et le joli garçon, tout gonflé de son opulence, l’esprit rempli de ses histoires de club et d’écurie ?

On sait comment Marcel quitta Paris, d’abord pour observer les agissements de Herr Schultze, qui venait de fonder Stahlstadt, une rivale de France-Ville, sur le même terrain indépendant des États-Unis, puis pour entrer au service du Roi de l’Acier.

Pendant deux ans, Octave mena cette vie d’inutile et de dissipé. Enfin, l’ennui de ces choses creuses le prit, et, un beau jour, après quelques millions dévorés, il rejoignit son père, — ce qui le sauva d’une ruine menaçante, encore plus morale que physique. À cette époque, il demeurait donc à France-Ville dans la maison du docteur.

Sa sœur Jeanne, à en juger du moins par l’apparence, était alors une exquise jeune fille de dix-neuf ans, à laquelle son séjour de quatre années dans sa nouvelle patrie avait donné toutes les qualités américaines, ajoutées à toutes les grâces françaises. Sa mère disait parfois qu’elle n’avait jamais soupçonné, avant de l’avoir pour compagne de tous les instants, le charme de l’intimité absolue.

Quant à Mme Sarrasin, depuis le retour de l’enfant prodigue, son dauphin, le fils aîné de ses espérances, elle était aussi complètement heureuse qu’on peut l’être ici-bas, car elle s’associait à tout le bien que son mari pouvait faire et faisait, grâce à son immense fortune.

Ce soir-là, le docteur Sarrasin avait reçu, à sa table, deux de ses plus intimes amis, le colonel Hendon, un vieux débris de la guerre de sécession, qui avait laissé un bras à Pittsburgh et une oreille à Seven-Oaks, mais qui n’en tenait pas moins sa partie tout comme un autre à la table d’échecs ; puis M. Lentz, directeur général de l’enseignement dans la nouvelle cité.

La conversation roulait sur les projets de l’administration de la ville, sur les résultats déjà obtenus dans les établissements publics de toute nature, institutions, hôpitaux, caisses de secours mutuel.

M. Lentz, selon le programme du docteur, dans lequel l’enseignement religieux n’était pas oublié, avait fondé plusieurs écoles primaires où les soins du