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LES RÉVOLTÉS DE LA « BOUNTY »

une nouvelle grêle de cailloux. Plusieurs hommes furent blessés. Mais Hayward, ramassant une des pierres qui étaient tombées dans la chaloupe, visa l’un des assaillants et l’atteignit entre les deux yeux. L’indigène tomba à la renverse en poussant un grand cri auquel répondirent les hourras des Anglais. Leur infortuné camarade était vengé.

Cependant, plusieurs pirogues se détachaient du rivage et leur donnaient la chasse. Cette poursuite ne pouvait se terminer que par un combat, dont l’issue n’aurait pas été heureuse, lorsque le maître d’équipage eut une lumineuse idée. Sans se douter qu’il imitait Hippomène dans sa lutte avec Atalante, il se dépouilla de sa vareuse et la jeta à la mer. Les naturels, lâchant la proie pour l’ombre, s’attardèrent afin de la ramasser, et cet expédient permit à la chaloupe de doubler la pointe de la baie.

Sur ces entrefaites, la nuit était entièrement venue, et les indigènes, découragés, abandonnèrent la poursuite de la chaloupe.

Cette première tentative de débarquement était trop malheureuse pour être renouvelée ; tel fut du moins l’avis du capitaine Bligh.

« C’est maintenant qu’il faut prendre une résolution, dit-il. La scène qui vient de se passer à Tofoa se renouvellera, j’en suis certain, à Tonga-Tabou, et partout où nous voudrons accoster. En petit nombre, sans armes à feu, nous serons absolument à la merci des indigènes. Privés d’objets d’échange, nous ne pouvons acheter de vivres, et il nous est impossible de nous les procurer de vive force. Nous sommes donc réduits à nos seules ressources. Or, vous savez comme moi, mes amis, combien elles sont misérables ! Mais ne vaut-il pas mieux s’en contenter que de risquer, à chaque atterrissage, la vie de plusieurs d’entre nous ? Cependant, je ne veux en rien vous dissimuler l’horreur de notre situation. Pour atteindre Timor, nous avons à peu près douze cents lieues à franchir, et il faudra vous contenter d’une once de biscuit par jour et d’un quart de pinte d’eau ! Le salut est à ce prix seulement, et encore, à la condition que je trouverai en vous la plus complète obéissance. Répondez-moi sans arrière-pensée ! Consentez-vous à tenter l’entreprise ? Jurez-vous d’obéir à mes ordres quels qu’ils soient ? Promettez-vous de vous soumettre sans murmure à ces privations ?

— Oui, oui, nous le jurons ! s’écrièrent d’une commune voix les compagnons de Bligh.

— Mes amis, reprit le capitaine, il faut aussi oublier nos torts réciproques, nos antipathies et nos haines, sacrifier en un mot nos rancunes personnelles à l’intérêt de tous, qui doit seul nous guider !