Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/102

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— Une bête qui se mange, répondit Paganel.

— Et c’est bon ?

— Savoureux. Un mets de l’Olympe. Je savais bien que nous aurions de la viande fraîche pour souper. Et quelle viande ! Mais qui va découper l’animal ?

— Moi, dit Wilson.

— Bien, je me charge de le faire griller, répliqua Paganel.

— Vous êtes donc cuisinier, monsieur Paganel ? dit Robert.

— Parbleu, mon garçon, puisque je suis Français ! Dans un Français, il y a toujours un cuisinier. »

Cinq minutes après, Paganel déposa de larges tranches de venaison sur les charbons produits par la racine de llaretta. Dix minutes plus tard, il servit à ses compagnons cette viande fort appétissante sous le nom de « filets de guanaque. » Personne ne fit de façons, et chacun y mordit à pleines dents.

Mais, à la grande stupéfaction du géographe, une grimace générale accompagnée d’un « pouah » unanime accueillit la première bouchée.

« C’est horrible ! dit l’un.

— Ce n’est pas mangeable ! » répliqua l’autre.

Le pauvre savant, quoi qu’il en eût, dut convenir que cette grillade ne pouvait être acceptée, même par des affamés. On commençait donc à lui lancer quelques plaisanteries qu’il entendait parfaitement, du reste, et à dauber son « mets de l’Olympe ; » lui-même cherchait la raison pour laquelle cette chair de guanaque, véritablement bonne et très-estimée, était devenue détestable entre ses mains, quand une réflexion subite traversa son cerveau.

« J’y suis, s’écria-t-il ! Eh parbleu ! j’y suis, j’ai trouvé !

— Est-ce que c’est de la viande trop avancée ? demanda tranquillement Mac Nabbs.

— Non, major intolérant, mais de la viande qui a trop marché ! Comment ai-je pu oublier cela ?

— Que voulez-vous dire ? monsieur Paganel, demanda Tom Austin.

— Je veux dire que le guanaque n’est bon que lorsqu’il a été tué au repos ; si on le chasse longtemps, s’il fournit une longue course, sa chair n’est plus mangeable. Je puis donc affirmer au goût que cet animal venait de loin, et par conséquent le troupeau tout entier.

— Vous êtes certain de ce fait ? dit Glenarvan.

— Absolument certain.

— Mais quel événement, quel phénomène a pu effrayer ainsi ces animaux et les chasser à l’heure où ils devraient être paisiblement endormis dans leur gîte ?