Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/103

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— À cela, mon cher Glenarvan, dit Paganel, il m’est impossible de vous répondre. Si vous m’en croyez, allons dormir sans en chercher plus long. Pour mon compte, je meurs de sommeil. Dormons-nous, major ?

— Dormons, Paganel. »

Sur ce, chacun s’enveloppa de son poncho, le feu fut ravivé pour la nuit, et bientôt dans tous les tons et sur tous les rythmes s’élevèrent des ronflements formidables, au milieu desquels la basse du savant géographe soutenait l’édifice harmonique.

Seul, Glenarvan ne dormit pas. De secrètes inquiétudes le tenaient dans un état de fatigante insomnie. Il songeait involontairement à ce troupeau fuyant dans une direction commune, à son effarement inexplicable. Les guanaques ne pouvaient être poursuivis par des bêtes fauves. À cette hauteur, il n’y en a guère, et de chasseurs encore moins. Quelle terreur les précipitait donc vers les abîmes de l’Antuco, et quelle en était la cause ? Glenarvan avait le pressentiment d’un danger prochain.

Cependant, sous l’influence d’un demi-assoupissement, ses idées se modifièrent peu à peu, et les craintes firent place à l’espérance. Il se vit au lendemain, dans la plaine des Andes. Là devaient commencer véritablement ses recherches, et le succès n’était peut-être pas loin. Il songea au capitaine Grant, à ses deux matelots délivrés d’un dur esclavage. Ces images passaient rapidement devant son esprit, à chaque instant distrait par un pétillement du feu, une étincelle crépitant dans l’air, une flamme vivement oxygénée qui éclairait la face endormie de ses compagnons, et agitait quelque ombre fuyante sur les murs de la casucha. Puis, ses pressentiments revenaient avec plus d’intensité. Il écoutait vaguement les bruits extérieurs, difficiles à expliquer sur ces cimes solitaires ?

À un certain moment, il crut surprendre des grondements éloignés, sourds, menaçants, comme les roulements d’un tonnerre qui ne viendrait pas du ciel. Or, ces grondements ne pouvaient appartenir qu’à un orage déchaîné sur les flancs de la montagne, à quelques milles pieds au-dessous de son sommet. Glenarvan voulut constater le fait, et sortit.

La lune se levait alors. L’atmosphère était limpide et calme. Pas un nuage, ni en haut, ni en bas. Çà et là, quelques reflets mobiles des flammes de l’Antuco. Nul orage, nul éclair. Au zénith étincelaient des milliers d’étoiles. Pourtant les grondements duraient toujours ; ils semblaient se rapprocher et courir à travers la chaîne des Andes. Glenarvan rentra plus inquiet, se demandant quel rapport existait entre ces ronflements souterrains et la fuite des guanaques. Y avait-il là un effet et une cause ? Il regarda sa montre qui marquait deux heures du matin.