Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/123

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écuyer consommé, était magnifique à voir. Son harnachement comportait les deux instruments de chasse usités dans la plaine argentine, les « bolas » et le « lazo. » Les bolas consistent en trois boules réunies ensemble par une courroie de cuir, attachée à l’avant du recado. L’Indien les lance souvent à cent pas de distance sur l’animal ou l’ennemi qu’il poursuit, et avec une précision telle, qu’elles s’enroulent autour de ses jambes et l’abattent aussitôt. C’est donc entre ses mains un instrument redoutable, et il le manie avec une surprenante habileté. Le lazo, au contraire, n’abandonne pas la main qui le brandit. Il se compose uniquement d’une corde longue de trente pieds, formée par la réunion de deux cuirs bien tressés, et terminée par un nœud coulant qui glisse dans un anneau de fer. C’est ce nœud coulant que lance la main droite, tandis que la gauche tient le reste du lazo dont l’extrémité est fixée fortement à la selle. Une longue carabine mise en bandoulière complétait les armes offensives du Patagon.

Thalcave, sans remarquer l’admiration produite par sa grâce naturelle, son aisance et sa fière désinvolture, prit la tête de la troupe, et l’on partit tantôt au galop, tantôt au pas des chevaux, auxquels l’allure du trot semblait être inconnue. Robert montait avec beaucoup de hardiesse, et rassura promptement Glenarvan sur son aptitude à se tenir en selle.

Au pied même de la Cordillère commence la plaine des Pampas. Elle peut se diviser en trois parties ; la première s’étend depuis la chaîne des Andes sur un espace de deux cent cinquante milles, couvert d’arbres peu élevés et de buissons. La seconde, large de quatre cent cinquante milles, est tapissée d’une herbe magnifique, et s’arrête à cent quatre-vingts milles de Buénos-Ayres. De ce point à la mer, le pas du voyageur foule d’immenses prairies de luzernes et de chardons. C’est la troisième partie des Pampas.

En sortant des gorges de la Cordillère, la troupe de Glenarvan rencontra d’abord une grande quantité de dunes de sable appelées « medanos, » véritables vagues incessamment agitées par le vent, lorsque la racine des végétaux ne les enchaîne pas au sol. Ce sable est d’une extrême finesse ; aussi le voyait-on, au moindre souffle, s’envoler en ébroussins légers, ou former de véritables trombes qui s’élevaient à une hauteur considérable. Ce spectacle faisait à la fois le plaisir et le désagrément des yeux : le plaisir, car rien n’était plus curieux que ces trombes errant par la plaine, luttant, se confondant, s’abattant, se relevant dans un désordre inexprimable ; le désagrément, car une poussière impalpable se dégageait de ces innombrables medanos, et pénétrait à travers les paupières, si bien fermées qu’elles fussent.

Ce phénomène dura pendant une grande partie de la journée sous