Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Glenarvan craignait d’être retardé si cet ouragan se prolongeait ; mais Paganel le rassura, après avoir consulté son baromètre.

« Ordinairement, lui dit-il, le Pampero crée des tempêtes de trois jours que la dépression du mercure indique d’une façon certaine. Mais quand, au contraire, le baromètre remonte, — et c’est le cas, — on en est quitte pour quelques heures de rafales furieuses. Rassurez-vous donc, mon cher ami, au lever du jour le ciel aura repris sa pureté habituelle.

— Vous parlez comme un livre, Paganel, répondit Glenarvan.

— Et j’en suis un, répliqua Paganel. Libre à vous de me feuilleter tant qu’il vous plaira. »

Le livre ne se trompait pas. À une heure du matin, le vent tomba subitement, et chacun put trouver dans le sommeil un repos réparateur. Le lendemain on se levait frais et dispos, Paganel surtout, qui faisait craquer ses articulations avec un bruit joyeux, et s’étirait comme un jeune chien.

Ce jour était le vingt-quatrième d’octobre, et le dixième depuis le départ de Talcahuano. Quatre-vingt-treize milles[1] séparaient encore les voyageurs du point où le Rio-Colorado coupe le trente-septième parallèle, c’est-à-dire trois jours de voyage. Pendant cette traversée du continent américain, lord Glenarvan guettait avec une scrupuleuse attention l’approche des indigènes. Il voulait les interroger au sujet du capitaine Grant par l’intermédiaire du Patagon avec lequel Paganel, d’ailleurs, commençait à s’entretenir suffisamment. Mais on suivait une ligne peu fréquentée des Indiens, car les routes de la Pampa qui vont de la république argentine aux Cordillères sont situées plus au nord. Aussi, Indiens errants ou tribus sédentaires vivant sous la loi des caciques ne se rencontraient pas. Si, d’aventure, quelque cavalier nomade apparaissait au loin, il s’enfuyait rapidement, peu soucieux d’entrer en communication avec des inconnus. Une pareille troupe devait sembler suspecte à quiconque se hasardait seul dans la plaine, au bandit dont la prudence s’alarmait à la vue de huit hommes bien armés et bien montés, comme au voyageur qui, par ces campagnes désertes, pouvait voir en eux des gens mal intentionnés. De là, une impossibilité absolue de s’entretenir avec les honnêtes gens ou les pillards. C’était à regretter de ne pas se trouver en face d’une bande de « rastreadores[2], » dût-on commencer la conversation à coups de fusil.

Cependant, si Glenarvan, dans l’intérêt de ses recherches, eut à regretter l’absence des Indiens, un incident se produisit qui vint singulièrement justifier l’interprétation du document.

  1. 150 kilomètres.
  2. Pillards de la plaine.