Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/250

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lui un heureux jour que celui où il recevait d’aimables étrangers. Saint-Pierre n’est fréquenté que par des pêcheurs de phoques, de rares baleiniers, gens fort grossiers d’habitude, et qui n’ont pas beaucoup gagné à la fréquentation des chiens de mer.

M. Viot présenta ses sujets, les deux mulâtres ; ils formaient toute la population vivante de l’île, avec quelques sangliers baugés à l’intérieur et plusieurs milliers de pingouins naïfs. La petite maison où vivaient les trois insulaires était située au fond d’un port naturel du sud-ouest formé par l’écroulement d’une portion de la montagne.

Ce fut bien avant le règne d’Otovan Ier que l’île Saint-Pierre servit de refuge à des naufragés. Paganel intéressa fort ses auditeurs en commençant son premier récit par ces mots : Histoire de deux Écossais abandonnés dans l’île Amsterdam.

C’était en 1827. Le navire anglais Palmira, passant en vue de l’île, aperçut une fumée qui s’élevait dans les airs. Le capitaine s’approcha du rivage, et vit bientôt deux hommes qui faisaient des signaux de détresse. Il envoya son canot à terre, qui recueillit Jacques Paine, un garçon de vingt-deux ans, et Robert Proudfoot, âgé de quarante-huit ans. Ces deux infortunés étaient méconnaissables. Depuis dix-huit mois, presque sans aliments, presque sans eau douce, vivant de coquillages, pêchant avec un mauvais clou recourbé, attrapant de temps à autre quelque marcassin à la course, demeurant jusqu’à trois jours sans manger, veillant comme des vestales près d’un feu allumé de leur dernier morceau d’amadou, ne le laissant jamais s’éteindre et l’emportant dans leurs excursions comme un objet du plus haut prix, ils vécurent ainsi de misère, de privations, de souffrances. Paine et Proudfoot avaient été débarqués dans l’île par un schooner qui faisait la pêche des phoques. Suivant la coutume des pêcheurs, ils devaient pendant un mois s’approvisionner de peaux et d’huile, en attendant le retour du schooner. Le schooner ne reparut pas. Cinq mois après, le Hope, qui se rendait à Van-Diemen, vint atterrir à l’île ; mais son capitaine, par un de ces barbares caprices que rien n’explique, refusa de recevoir les deux Écossais ; il repartit sans leur laisser ni un biscuit, ni un briquet, et certainement les deux malheureux fussent morts avant peu, si la Palmira, passant en vue de l’île Amsterdam, ne les eût recueillis à son bord.

La seconde aventure que mentionne l’histoire de l’île Amsterdam, — si pareil rocher peut avoir une histoire, — est celle du capitaine Péron, un Français cette fois. Cette aventure, d’ailleurs, débute comme celle des deux Écossais et finit de même : une relâche volontaire dans l’île, un navire qui ne revient pas, et un navire étranger que le hasard des vents porte sur ce