Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/251

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groupe, après quarante mois d’abandon. Seulement, un drame sanglant marqua le séjour du capitaine Péron, et offre de curieux points de ressemblance avec les événements imaginaires qui attendaient à son retour dans son île le héros de Daniel de Foë.

Le capitaine Péron s’était fait débarquer avec quatre matelots, deux Anglais et deux Français ; il devait, pendant quinze mois, se livrer à la chasse des lions marins. La chasse fut heureuse, mais quand, les quinze mois écoulés, le navire ne reparut pas, lorsque les vivres s’épuisèrent peu à peu, les relations internationales devinrent difficiles. Les deux Anglais se révoltèrent contre le capitaine Péron, qui eût péri de leurs mains, sans le secours de ses compatriotes. À partir de ce moment, les deux partis, se surveillant nuit et jour, sans cesse armés, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus tour à tour, menèrent une épouvantable existence de misère et d’angoisses. Et, certainement, l’un aurait fini par anéantir l’autre, si quelque navire anglais n’eût rapatrié ces malheureux qu’une misérable question de nationalité divisait sur un roc de l’océan Indien.

Telles furent ces aventures. Deux fois l’île Amsterdam devint ainsi la patrie de matelots abandonnés, que la Providence sauva deux fois de la misère et de la mort. Mais, depuis lors, aucun navire ne s’était perdu sur ces côtes. Un naufrage eût jeté ses épaves à la grève ; des naufragés seraient parvenus aux pêcheries de M. Viot. Or, le vieillard habitait l’île depuis de longues années, et jamais l’occasion ne s’offrit à lui d’exercer son hospitalité envers des victimes de la mer. Du Britannia et du capitaine Grant, il ne savait rien. Ni l’île Amsterdam, ni l’îlot Saint-Paul, que les baleiniers et pêcheurs visitaient souvent, n’avaient été le théâtre de cette catastrophe.

Glenarvan ne fut ni surpris ni attristé de sa réponse. Ses compagnons et lui, dans ces diverses relâches, cherchaient où n’était pas le capitaine Grant, non où il était. Ils voulaient constater son absence de ces différents points du parallèle, voilà tout. Le départ du Duncan fut donc décidé pour le lendemain.

Jusqu’au soir, les passagers visitèrent l’île, dont l’apparence est fort attrayante. Mais sa faune et sa flore n’auraient pas rempli l’in-octavo du plus prolixe des naturalistes. L’ordre des quadrupèdes, des oiseaux, des poissons et des cétacés, ne renfermait que quelques sangliers sauvages, des pétrels « des neiges, » des albatros, des perches et des phoques. Les eaux thermales et les sources ferrugineuses s’échappaient çà et là de laves noirâtres, et promenaient leurs épaisses vapeurs au-dessus du sol volcanique. Quelques-unes de ces sources étaient portées à une très-haute température. John Mangles y plongea un thermomètre Fahrenheit, qui