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Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/379

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CHAPITRE XVII

LES ÉLEVEURS MILLIONNAIRES.


Après une nuit tranquillement passée par 146° 15’ de longitude, les voyageurs, le 6 janvier, à sept heures du matin, continuèrent à traverser le vaste district. Ils marchaient toujours vers le soleil levant, et les empreintes de leurs pas traçaient sur la plaine une ligne rigoureusement droite. Deux fois, ils coupèrent des traces de squatters qui se dirigeaient vers le nord, et alors ces diverses empreintes se seraient confondues, si le cheval de Glenarvan n’eût laissé sur la poussière la marque de Black-Point, reconnaissable à ses deux trèfles.

La plaine était parfois sillonnée de creeks capricieux, entourés de buis, aux eaux plutôt temporaires que permanentes. Ils prenaient naissance sur les versants des « Buffalos-Ranges », chaîne de médiocres montagnes dont la ligne pittoresque ondulait à l’horizon.

On résolut d’y camper le soir même. Ayrton pressa son attelage, et, après une journée de trente-cinq milles, les bœufs arrivèrent, un peu fatigués. La tente fut dressée sous de grands arbres ; la nuit était venue, le souper fut rapidement expédié. On songeait moins à manger qu’à dormir, après une marche pareille.

Paganel, à qui revenait le premier quart, ne se coucha pas, et, sa carabine à l’épaule, il veilla sur le campement, se promenant de long en large pour mieux résister au sommeil.

Malgré l’absence de la lune, la nuit était presque lumineuse sous l’éclat des constellations australes. Le savant s’amusait à lire dans ce grand livre du firmament toujours ouvert et si intéressant pour qui sait le comprendre. Le profond silence de la nature endormie n’était interrompu que par le bruit des entraves qui retentissaient aux pieds des chevaux.

Paganel se laissait donc entraîner à ses méditations astronomiques, et il s’occupait plus des choses du ciel que des choses de la terre, quand un son lointain le tira de sa rêverie.

Il prêta une oreille attentive, et, à sa grande stupéfaction, il crut reconnaître les sons d’un piano ; quelques accords, largements arpégés, envoyaient jusqu’à lui leur sonorité frémissante. Il ne pouvait s’y tromper.