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les enfants

Cependant Glenarvan rejoignit Mulrady et Wilson, préposés à la garde extérieure. Un profond silence régnait sur cette plaine comprise entre la lisière du bois et la rivière. Les gros nuages immobiles s’écrasaient sur la voûte du ciel. Au milieu de cette atmosphère engourdie dans une torpeur profonde, le moindre bruit se fût transmis avec netteté, et rien ne se faisait entendre. Ben Joyce et sa bande devaient s’être repliés à une distance assez considérable, car des volées d’oiseaux qui s’ébattaient sur les basses branches des arbres, quelques kanguroos occupés à brouter paisiblement les jeunes pousses, un couple d’eurus dont la tête confiante passait entre les grandes touffes d’arbrisseaux, prouvaient que la présence de l’homme ne troublait pas ces paisibles solitudes.

« Depuis une heure, demandait Glenarvan à ses deux matelots, vous n’avez rien vu, rien entendu ?

— Rien, Votre Honneur, répondit Wilson. Les convicts doivent être à plusieurs milles d’ici.

— Il faut qu’ils n’aient pas été en force suffisante pour nous attaquer, ajouta Mulrady. Ce Ben Joyce aura voulu recruter quelques bandits de son espèce parmi les bushrangers qui errent au pied des Alpes.

— C’est probable, Mulrady, répondit Glenarvan. Ces coquins sont des lâches. Ils nous savent armés et bien armés. Peut-être attendent-ils la nuit pour commencer leur attaque. Il faudra redoubler de surveillance à la chute du jour. Ah ! Si nous pouvions quitter cette plaine marécageuse et poursuivre notre route vers la côte ! Mais les eaux grossies de la rivière nous barrent le passage. Je payerais son pesant d’or un radeau qui nous transporterait sur l’autre rive !

— Pourquoi Votre Honneur, dit Wilson, ne nous donne-t-il pas l’ordre de construire ce radeau ? Le bois ne manque pas.

— Non, Wilson, répondit Glenarvan, cette Snowy n’est pas une rivière, c’est un infranchissable torrent. »

En ce moment, John Mangles, le major et Paganel rejoignirent Glenarvan. Ils venaient précisément d’examiner la Snowy. Les eaux accrues par les dernières pluies s’étaient encore élevées d’un pied au-dessus de l’étiage. Elles formaient un courant torrentueux, comparable aux rapides de l’Amérique. Impossible de s’aventurer sur ces nappes mugissantes et ces impétueuses avalasses, brisées en mille remous où se creusaient des gouffres.

John Mangles déclara le passage impraticable.

« Mais, ajouta-t-il, il ne faut pas rester ici sans rien tenter. Ce qu’on voulait faire avant la trahison d’Ayrton est encore plus nécessaire après.

— Que dis-tu, John ? demanda Glenarvan.

— Je dis que des secours sont urgents, et puisqu’on ne peut aller à