Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/530

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ses buissons sauvages couvraient des champs entiers ; ses fleurs, d’un rouge brun, et semblables à l’agave, s’épanouissaient partout hors de l’inextricable fouillis de ses longues feuilles, qui formaient un trophée de lames tranchantes. De gracieux oiseaux, les nectariens, habitués des champs de phormium, volaient par bandes nombreuses, et se délectaient du suc mielleux des fleurs.

Dans les eaux du lac barbotaient des troupes de canards au plumage noirâtre, bariolés de gris et de vert, et qui se sont aisément domestiqués.

À un quart de mille, sur un escarpement de la montagne, apparaissait un « pah, » retranchement maori placé dans une position inexpugnable. Les prisonniers débarqués un à un, les pieds et les mains libres, y furent conduits par les guerriers. Le sentier qui aboutissait au retranchement traversait des champs de phormium, et un bouquet de beaux arbres, des « kaikateas, » à feuilles persistantes et à baies rouges, des « dracenas australis, » le « ti » des indigènes, dont la cime remplace avantageusement le chou-palmiste, et des « huious » qui servent à teindre les étoffes en noir. De grosses colombes à reflets métalliques, des glaucopes cendrés, et un monde d’étourneaux à caroncules rougeâtres, s’envolèrent à l’approche des indigènes.

Après un assez long détour, Glenarvan, lady Helena, Mary Grant et leurs compagnons arrivèrent à l’intérieur du pah.

Cette forteresse était défendue par une première enceinte de solides palissades, hautes de quinze pieds ; une seconde ligne de pieux, puis une clôture d’osier percée de meurtrières, enfermaient la seconde enceinte, c’est-à-dire le plateau du pah, sur lequel s’élevaient des constructions maories et une quarantaine de huttes disposées symétriquement.

En y arrivant, les captifs furent horriblement impressionnés à la vue des têtes qui ornaient les poteaux de la seconde enceinte. Lady Helena et Mary Grant détournèrent les yeux avec plus de dégoût encore que d’épouvante. Ces têtes avaient appartenu aux chefs ennemis tombés dans les combats, dont les corps servirent de nourriture aux vainqueurs. Le géographe les reconnut pour telles, à leurs orbites caves et privés d’yeux.

En effet, l’œil des chefs est dévoré ; la tête, préparée à la manière indigène, vidée de sa cervelle et dénudée de tout épiderme, le nez maintenu par de petites planchettes, les narines bourrées de phormium, la bouche et les paupières cousues, est mise au four et soumise à une fumigation de trente heures. Ainsi disposée, elle se conserve indéfiniment sans altération ni ride, et forme des trophées de victoire.

Souvent les Maoris conservent la tête de leurs propres chefs ; mais, dans