Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/88

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gnols, galopant sur des chevaux ensanglantés par l’éperon gigantesque qui chaussait leur pied nu et passant comme des ombres. On ne trouvait à qui parler sur la route, et les renseignements manquaient absolument. Glenarvan en prenait son parti. Il se disait que le capitaine Grant, prisonnier des Indiens, devait avoir été entraîné par eux au delà de la chaîne des Andes. Les recherches ne pouvaient être fructueuses que dans les Pampas, non en deçà. Il fallait donc patienter, aller en avant, vite et toujours.

Le 17, on repartit à l’heure habituelle et dans l’ordre accoutumé. Un ordre que Robert ne gardait pas sans peine, car son ardeur l’entraînait à devancer la madrina, au grand désespoir de sa mule. Il ne fallait rien moins qu’un rappel sévère de Glenarvan pour maintenir le jeune garçon à son poste de marche.

Le pays devint alors plus accidenté ; quelques ressauts de terrains indiquaient de prochaines montagnes ; les rios se multipliaient, en obéissant bruyamment aux caprices des pentes. Paganel consultait souvent ses cartes ; quand l’un de ces ruisseaux n’y figurait pas, ce qui arrivait fréquemment, son sang de géographe bouillonnait dans ses veines, et il se fâchait de la plus charmante façon du monde.

« Un ruisseau qui n’a pas de nom, disait-il, c’est comme s’il n’avait pas d’état civil ! Il n’existe pas aux yeux de la loi géographique. »

Aussi ne se gênait-il pas pour baptiser ces rios innommés ; il les notait sur sa carte et les affublait des qualificatifs les plus retentissants de la langue espagnole.

« Quelle langue, répétait-il ! quelle langue pleine et sonore ! c’est une langue de métal, et je suis sûr qu’elle est composée de soixante-dix-huit parties de cuivre et de vingt-deux d’étain, comme le bronze des cloches !

— Mais au moins, faites-vous des progrès ? lui répondit Glenarvan.

— Certes ! mon cher lord ! Ah ! s’il n’y avait pas l’accent ! Mais il y a l’accent ! »

Et en attendant mieux, Paganel, chemin faisant, travaillait à rompre son gosier aux difficultés de la prononciation, sans oublier ses observations géographiques. Là, par exemple, il était étonnamment fort et n’eût pas trouvé son maître. Lorsque Glenarvan interrogeait le catapaz sur une particularité du pays, son savant compagnon devançait toujours la réponse du guide. Le catapaz le regardait d’un air ébahi.

Ce jour-là même, vers dix heures, une route se présenta, qui coupait la ligne suivie jusqu’alors. Glenarvan en demanda naturellement le nom, et naturellement ce fut aussi Jacques Paganel qui répondit :

« C’est la route de Yumbel à los Angeles. »