Page:Verne - Les grands navigateurs du XVIIIe siècle, 1879.djvu/297

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tracées sur le sable s’effaçaient, prit un de nos crayons avec du papier. Il traça son île, qu’il nomma Tchoka, et indiqua par un trait la petite rivière sur le bord de laquelle, nous étions, qu’il plaça aux deux tiers de la longueur de l’île, depuis le nord vers le sud. Il dessina ensuite la terre des Mandchoux, laissant, comme le vieillard, un détroit au fond de l’entonnoir, et, à notre grande surprise, il y ajouta le fleuve Saghalien, dont ces insulaires prononçaient le nom comme nous ; il plaça l’embouchure de ce fleuve un peu au sud de la pointe du nord de son île ....

« Nous voulûmes ensuite savoir si ce détroit était fort large ; nous cherchâmes à lui faire comprendre notre idée ; il la saisit et, plaçant ses deux mains perpendiculairement et parallèlement à deux ou trois pouces l’une de l’autre, il nous fit entendre qu’il figurait ainsi la largeur de la petite rivière de notre aiguade ; et, les écartant davantage, que cette seconde largeur était celle du fleuve Saghalien ; et, en les éloignant enfin beaucoup plus, que c’était la largeur du détroit qui sépare son pays de la Tartarie....

« M. de Langle et moi crûmes qu’il était de la plus grande importance de reconnaître si l’île que nous prolongions était celle à laquelle les géographes ont donné le nom d’île Saghalien, sans en soupçonner l’étendue au sud. Je donnai ordre de tout disposer sur les deux frégates pour appareiller le lendemain. La baie où nous étions mouillés reçut le nom de baie de Langle, du nom de ce capitaine qui l’avait découverte et y avait mis pied à terre le premier. »

Dans une autre baie, sur la même côte, qui fut nommée baie d’Estaing, les canots abordèrent au pied de dix à douze cabanes. Elles étaient plus grandes que celles qu’on avait vues jusqu’alors et divisées en deux chambres. Celle du fond contenait le foyer, les ustensiles de cuisine et la banquette qui règne autour ; celle du devant était absolument nue et vraisemblablement destinée à recevoir les étrangers. Les femmes s’étaient sauvées en voyant débarquer les Français. Deux d’entre elles furent cependant atteintes, et, tandis qu’on les rassurait, on eut le temps de les dessiner. Leur physionomie était un peu extraordinaire, mais agréable ; leurs yeux étaient petits, leurs lèvres grosses, et la lèvre supérieure était peinte ou tatouée.

M. de Langle trouva les insulaires rassemblés autour de quatre barques chargées de poisson fumé, qu’ils aidaient à mettre à l’eau. C’étaient des .Mandchous venus des bords du fleuve Saghalien. Dans un coin de l’île fut trouvé une espèce de cirque planté de quinze ou vingt piquets, surmontés chacun d’une tête d’ours. On supposa, non sans vraisemblance, que ces trophées étaient destinés à perpétuer le souvenir d’une victoire contre ces animaux.