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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

L’observatoire fut établi sur une petite île, tandis que les charpentiers abattaient le bois et que les matelots remplissaient les pièces à eau.

« Chaque cabane des insulaires, qui se donnaient le nom d’Orotchys, dit la relation, était entourée d’une sècherie de saumons, qui restaient exposés sur des perches aux ardeurs du soleil, après avoir été boucanés pendant trois ou quatre jours autour du foyer qui est au milieu de leur case ; les femmes chargées de cette opération ont le soin, lorsque la fumée les a pénétrés, de les porter en plein air, où ils acquièrent la dureté du bois.

« Ils faisaient leur pêche dans la même rivière que nous avec des filets ou des dards, et nous les voyions manger crus, avec une avidité dégoûtante, le museau, les ouïes, les osselets et quelquefois la peau entière du saumon, qu’ils dépouillaient avec beaucoup d’adresse ; ils suçaient le mucilage de ces parties comme nous avalons une huître. Le plus grand nombre de leurs poissons n’arrivaient à l’habitation que dépouillés, excepté lorsque la pêche avait été très abondante ; alors les femmes cherchaient avec la même avidité les poissons entiers, et en dévoraient, d’une manière aussi dégoûtante, les parties mucilagineuses, qui leur paraissaient le mets le plus exquis.

« Ce peuple est d’une malpropreté et d’une puanteur révoltantes ; il n’en existe peut-être pas de plus faiblement constitué, ni d’une physionomie plus éloignée des formes auxquelles nous attachons l’idée de beauté. Leur taille moyenne est au-dessous de quatre pieds dix pouces ; leur corps est grêle, leur voix faible et aiguë, comme celle des enfants. Ils ont les os des joues saillants, les yeux petits, chassieux et fendus diagonalement ; la bouche large, le nez écrasé, le menton court, presque imberbe, et une peau olivâtre vernissée d’huile et de fumée. Ils laissent croître leurs cheveux et ils les tressent à peu près comme nous. Ceux des femmes leur tombent épars sur les épaules, et le portrait que je viens de tracer convient autant à leur physionomie qu’à celle des hommes, dont il serait assez difficile de les distinguer, si une légère différence dans l’habillement n’annonçait leur sexe. Elles ne sont cependant assujetties à aucun travail forcé qui ait pu, comme chez les Indiens d’Amérique, altérer l’élégance de leurs traits, si la nature les eût pourvues de cet avantage.

« Tous leurs soins se bornent à tailler et à coudre leurs habits, à disposer le poisson pour être séché et à soigner leurs enfants, à qui elles donnent à téter jusqu’à l’âge de trois ou quatre ans. Ma surprise fut extrême d’en voir un de cet âge qui, après avoir bandé un petit arc, tiré assez juste une flèche, donné des coups de bâton à un chien, se jeta sur le sein de sa mère et y prit la place d’un enfant de cinq à six mois, qui s’était endormi sur ses genoux. »