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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

Le 3 septembre, fut aperçue la côte du Kamtschatka, contrée hideuse, « où l’œil se repose avec peine, et presque avec effroi, sur des masses énormes de rochers que la neige couvrait encore au commencement de septembre et qui semblaient n’avoir jamais eu de végétation. »

Trois jours plus tard, on eut connaissance de la baie d’Avatscha, ou Saint-Pierre et Saint-Paul. Les astronomes procédèrent aussitôt à leurs observations, et les naturalistes firent l’ascension très pénible et dangereuse d’un volcan situé à huit lieues dans l’intérieur, tandis que le reste de l’équipage, qui n’était pas occupé aux travaux du bord, se livrait au plaisir de la chasse ou de la pêche. Grâce au bon accueil du gouverneur, les plaisirs furent variés.

« Il nous invita, dit La Pérouse, à un bal qu’il voulut donner à notre occasion à toutes les femmes, tant kamtschadales que russes, de Saint-Pierre et Saint-Paul. Si l’assemblée ne fut pas nombreuse, elle était au moins extraordinaire. Treize femmes vêtues d’étoffes de soie, dont dix kamtschadales avec de gros visages, de petits yeux et des nez plats, étaient assises sur des bancs, autour de l’appartement. Les Kamtschadales avaient, ainsi que les Russes, des mouchoirs de soie qui leur enveloppaient la tête, à peu près comme les femmes mulâtres de nos colonies... On commença par des danses russes, dont les airs sont très agréables et qui ressemblaient beaucoup à la cosaque qu’on a donnée à Paris, il y a quelques années. Les danses kamtschadales leur succédèrent ; elles ne peuvent être comparées qu’à celles des convulsionnaires du fameux tombeau de Saint-Médard. Il ne faut que des bras, des épaules et presque point de jambes aux danseurs de cette partie de l’Asie. Les danseuses kamtschadales, par leurs convulsions et leurs mouvements de contraction, inspirent un sentiment pénible à tous les spectateurs ; il est encore plus vivement excité par le cri de douleur qui sort du creux de la poitrine de ces danseuses, qui n’ont que cette musique pour mesure de leurs mouvements. Leur fatigue est telle, pendant cet exercice, qu’elles sont toutes dégouttantes de sueur et restent étendues par terre sans avoir la force de se relever. Les abondantes exhalaisons qui émanent de leur corps parfument l’appartement d’une odeur d’huile de poisson, à laquelle des nez européens sont trop peu accoutumés pour en sentir les délices. »

Le bal fut interrompu par l’arrivée d’un courrier d’Okotsch. Les nouvelles qu’il apportait furent heureuses pour tous, mais plus particulièrement pour La Pérouse, qui venait d’être promu au grade de chef d’escadre.

Pendant cette relâche, les navigateurs retrouvèrent la tombe de Louis Delisle de la Croyère, membre de l’Académie des Sciences, qui était mort au