Page:Verne - Mathias Sandorf, Hetzel, 1885, tome 2.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

146
mathias sandorf.

Zathmar, à ton père et à moi-même d’accomplir… et que j’accomplirai !

— Une œuvre de justice ? répondit Pierre, dont l’œil s’anima à ce mot, si inattendu pour lui.

— Oui, Pierre, et cette œuvre, tu la connaîtras, car c’est pour t’y associer que j’ai été t’arracher, mort comme moi, mais vivant comme moi, au cimetière de Raguse ! »

À ces paroles, Pierre Bathory se sentit reporté de quinze ans en arrière, à cette époque où son père tombait sur la place d’armes de la forteresse de Pisino.

« Devant moi, reprit le docteur, s’ouvrait toute une mer jusqu’au littoral italien. Si bon nageur que je fusse, je ne pouvais prétendre à la traverser. À moins d’être providentiellement secouru, soit que je rencontrasse une épave, soit qu’un navire étranger me recueillît à son bord, j’étais destiné à périr. Mais, quand on a fait le sacrifice de sa vie, on est bien fort pour la défendre, si la défense devient possible.

« D’abord, j’avais plongé, à plusieurs reprises pour échapper aux derniers coups de feu. Puis, lorsque je fus certain de n’être plus aperçu, je me maintins à la surface de la mer et je me dirigeai vers le large. Mes vêtements me gênaient peu, étant fort légers et ajustés au corps.