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le passé et le présent.

« Il devait être alors neuf heures et demie du soir. Suivant mon estime, je nageai pendant plus d’une heure dans une direction opposée à la côte, en m’éloignant de ce port de Rovigno, dont je vis les dernières lumières s’effacer peu à peu.

« Où allai-je ainsi et quel était mon espoir ? Je n’en avais aucun, Pierre, mais je sentais en moi une force de résistance, une ténacité, une volonté surhumaines qui me soutenaient. Ce n’était plus ma vie que je cherchais à sauver, c’était mon œuvre dans l’avenir ! Et à ce moment, si quelque barque de pêche fût venue à passer, j’eusse aussitôt plongé pour l’éviter ! Sur ce littoral autrichien, combien de traîtres pouvais-je trouver encore, prêts à me livrer pour toucher leur prime, combien de Carpena pour un honnête Andréa Ferrato !

« Ce fut même ce qui arriva à la fin de la première heure. Une embarcation apparut dans l’ombre, presque subitement. Elle venait du large et courait au plus près pour atteindre la terre. Comme j’étais déjà fatigué, je venais de m’étendre sur le dos, mais, instinctivement, je me retournai, prêt à disparaître. Une barque de pêche qui ralliait un des ports de l’Istrie ne pouvait que m’être suspecte !

« Je fus presque aussitôt fixé à cet égard. Un des matelots cria en langue dalmate de changer de