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dont Ivan Ogareff était l’âme. Ce traître, poussé par une ambition insensée autant que par la haine, avait régularisé le mouvement de manière à couper la grande route sibérienne. Fou, en vérité, s’il croyait pouvoir entamer l’empire moscovite ! Sous son inspiration, l’émir — c’est le titre que prennent les khans de Boukhara — avait lancé ses hordes au delà de la frontière russe. Il avait envahi le gouvernement de Sémipalatinsk, et les Cosaques, qui se trouvaient en trop petit nombre sur ce point, avaient dû reculer devant lui. Il s’était avancé plus loin que le lac Balkhach, entraînant les populations kirghises sur son passage. Pillant, ravageant, enrôlant ceux qui se soumettaient, capturant ceux qui résistaient, il se transportait d’une ville à l’autre, suivi de ces impedimenta de souverain oriental, qu’on pourrait appeler sa maison civile, ses femmes et ses esclaves, — le tout avec l’audace impudente d’un Gengis-Khan moderne.

Où était-il en ce moment ? Jusqu’où ses soldats étaient-ils parvenus à l’heure où la nouvelle de l’invasion arrivait à Moscou ? À quel point de la Sibérie les troupes russes avaient-elles dû reculer ? on ne pouvait le savoir. Les communications étaient interrompues. Le fil, entre Kolyvan et Tomsk, avait-il été brisé par quelques éclaireurs de l’armée tartare, ou l’émir était-il arrivé jusqu’aux provinces de l’Yeniseisk ? Toute la basse Sibérie occidentale était-elle en feu ? Le soulèvement s’étendait-il déjà jusqu’aux régions de l’est ? on ne pouvait le dire. Le seul agent qui ne craint ni le froid ni le chaud, celui que ni les rigueurs de l’hiver ni les chaleurs de l’été ne peuvent arrêter, qui vole avec la rapidité de la foudre, le courant électrique, ne pouvait plus se propager à travers la steppe, et il n’était plus possible de prévenir le grand-duc, enfermé dans Irkoutsk, du danger dont le menaçait la trahison d’Ivan Ogareff.

Un courrier seul pouvait remplacer le courant interrompu. Il faudrait, à cet homme, un certain temps pour franchir les cinq mille deux cents verstes (5,523 kilomètres) qui séparent Moscou d’Irkoutsk. Il devrait, pour traverser les rangs des rebelles et des envahisseurs, déployer à la fois un courage et une intelligence pour ainsi dire surhumains. Mais, avec de la tête et du cœur, on va loin !

« Trouverai-je cette tête et ce cœur ? » se demandait le czar.