Page:Verne - Michel Strogoff - pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux, 1880.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

JOLLIVET. – Épée ! On dit une épée… ou un pistolet.

BLOUNT. – Épée vous dites ?

JOLLIVET. – Oui.

BLOUNT. – Et pistolet ?

JOLLIVET. – Oui.

BLOUNT. – Oh ! Very well, merci. (Avec colère.) Eh bien, je tuerai vous, avec une épi… épée ou un pistolet !

JOLLIVET. – À la bonne heure !… Vous faites des progrès, élève Blount !… Je suis content de vous !

BLOUNT. – Mister Jollivette.

JOLLIVET. – Jollivet, s’il vous plaît !… Jollivette est ridicule.

BLOUNT. – Alors, j’appelai vous toujours Jollivette. (Avec force.) Jollivette !… Jollivette !… Jollivette !… Ah !…

LE GOUVERNEUR, rentrant. – Messieurs, j’entends les premiers accords de l’orchestre… C’est notre danse nationale.

JOLLIVET. – Nous sommes à la disposition de Votre Excellence.

(Tous deux entrent dans le salon. Au moment où le gouverneur et le général vont franchir la porte, l’aide de camp rentre précipitamment par la gauche.)


Scène VIII


Le gouverneur, le général, l’aide de camp.


L’AIDE DE CAMP, à demi-voix. – Excellence, le fil télégraphique de Moscou à Irkoutsk est coupé !

LE GOUVERNEUR. – Que me dites-vous là ?

L’AIDE DE CAMP. – Les dépêches s’arrêtent à Kolyvan, à mi-chemin de la route sibérienne, dont les Tartares sont les maîtres !

(Sur un signe du gouverneur les portières retombent.)

LE GOUVERNEUR. – En sorte que la dépêche que nous avons transmise au Grand-Duc, celle qui désignait le jour où doit arriver, en vue d’Irkoutsk, l’armée de secours ?…

L’AIDE DE CAMP. – Cette dépêche n’a pu parvenir à Son Altesse.

LE GOUVERNEUR. – Ainsi, les Tartares, maîtres de la route ! La Sibérie orientale séparée du reste de l’empire moscovite ! Le Grand-Duc, non prévenu du jour où il doit être secouru, où il doit opérer sa sortie !… Il faut à tout prix… (Au général.) Général, n’y a-t-il pas au palais une compagnie de courriers du czar ?

LE GÉNÉRAL. – Oui, Excellence.

LE GOUVERNEUR, se mettant à écrire. – Connaissez-vous, dans cette compagnie, un homme qui puisse, à travers mille dangers, porter une lettre à Irkoutsk ?

LE GÉNÉRAL. – Il en est un dont je répondrais à Votre Excellence, et qui a plusieurs fois rempli, avec succès, des missions difficiles.

LE GOUVERNEUR. – À l’étranger ?

LE GÉNÉRAL. – En Sibérie même.

LE GOUVERNEUR. – Qu’il vienne. (Le général dit un mot à l’aide de camp qui sort par la droite.) Il a du sang-froid, de l’intelligence, du courage ?…

LE GÉNÉRAL. – Il a tout ce qu’il faut pour réussir là où d’autres échoueraient.

LE GOUVERNEUR. – Son âge ?

LE GÉNÉRAL. – Trente ans.

LE GOUVERNEUR. – C’est un homme vigoureux ?

LE GÉNÉRAL. – Il a déjà prouvé qu’il peut supporter jusqu’aux dernières limites le froid, la faim et la fatigue ! Il a un corps de fer, un coeur d’or !

LE GOUVERNEUR. – Il se nomme ?

LE GÉNÉRAL. – Michel Strogoff.

LE GOUVERNEUR. – Il faut que ce courrier arrive jusqu’au Grand-Duc, ou la Sibérie est perdue !


Scène IX


Les mêmes, Strogoff.


(Michel Strogoff entre, et reste immobile, militairement. Le gouverneur l’observe un moment sans parler.)

LE GOUVERNEUR. – Tu te nommes Michel Strogoff ?

STROGOFF. – Oui, Excellence.

LE GOUVERNEUR. – Ton grade ?

STROGOFF. – Capitaine au corps des courriers du czar.

LE GOUVERNEUR. – Tu connais la Sibérie ?

STROGOFF. – Je suis né à Kolyvan.

LE GOUVERNEUR. – As-tu encore des parents dans cette ville ?

STROGOFF. – Oui… ma mère !

LE GOUVERNEUR. – Tu ne l’as pas vue depuis ?m..

STROGOFF. – Depuis deux ans !… mais je viens d’obtenir un congé pour aller la revoir, et je vais partir.

LE GOUVERNEUR. – Il n’est plus question de congé ! Il n’est plus question de ta mère ! Je vais te remettre une lettre que je te charge, toi, Michel Strogoff, de porter au Grand-Duc, frère du czar.

STROGOFF. – Je porterai cette lettre.

LE GOUVERNEUR. – Le Grand-Duc est à Irkoutsk.

STROGOFF. – J’irai à Irkoutsk.

LE GOUVERNEUR. – Mais, tu ignores que le pays est envahi par les Tartares, qui auront intérêt à intercepter ta lettre, et il faudra traverser ce pays !

STROGOFF. – Je le traverserai.

LE GOUVERNEUR. – Passeras-tu par Kolyvan ?

STROGOFF. – Oui, puisque c’est la route la plus directe.

LE GOUVERNEUR. – Mais, si tu vois ta mère, tu risques d’être reconnu !

STROGOFF. – Je ne la verrai pas.

LE GOUVERNEUR. – Tu seras pourvu d’argent et muni d’un passeport au nom de Nicolas Korpanoff, marchand sibérien. Ce passeport te permettra de requérir les chevaux de poste. Il autorisera, en outre, Nicolas Kor-