Page:Verne - Mistress Branican, Hetzel, 1891.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
trois mois se passent.

rendraient pas la possession d’elle-même ?… Pourquoi frapper John d’un double coup, en lui apprenant la mort de son enfant et la folie de sa femme, si cette folie devait guérir à court terme ?

Après s’être entretenu avec Len et Jane Burker, M. William Andrew prit le parti de surseoir jusqu’au moment où les médecins se seraient définitivement prononcés sur l’état mental de Dolly. Ces cas d’aliénation subite ne laissent-ils pas plus d’espoir de guérison que ceux qui sont dus à une lente désorganisation de la vie intellectuelle ? Oui !… et il convenait d’attendre quelques jours, ou même quelques semaines.

Cependant la ville était plongée dans la consternation. On ne cessait d’affluer à la maison de Fleet Street, afin d’avoir des nouvelles de Mrs. Branican. Entre temps, des recherches minutieuses avaient été opérées afin de retrouver le corps de l’enfant : elles n’avaient point abouti. Vraisemblablement, ce corps avait été entraîné par le flot, puis repris par la marée descendante. Le pauvre petit être n’aurait pas même une tombe sur laquelle sa mère viendrait prier, si elle recouvrait la raison !

D’abord, les médecins purent constater que la folie de Dolly affectait la forme d’une mélancolie douce. Nulle crise nerveuse, aucune de ces violences inconscientes, qui obligent à renfermer les malades et à leur rendre tout mouvement impossible. Il ne parut donc pas nécessaire de se précautionner contre ces excès auxquels se portent souvent les aliénés, soit contre autrui, soit contre eux-mêmes. Dolly n’était plus qu’un corps sans âme, une intelligence dans laquelle il ne restait aucun souvenir de cet horrible malheur. Ses yeux étaient secs, son regard éteint. Elle semblait ne plus voir, elle semblait ne plus entendre. Elle n’était plus de ce monde. Elle ne vivait que de la vie matérielle.

Tel fut l’état de Mrs. Branican pendant le premier mois qui suivit l’accident. On avait examiné la question de savoir s’il conviendrait de la mettre dans une maison de santé, où des soins spéciaux lui seraient donnés. C’était l’avis de M. William Andrew ; et il eût été