Page:Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
259
coup de vent de nord-est.

gardien de la prison ? Provoquer à prix d’or la fuite des condamnés ? Ils ne pouvaient seulement pas sortir de l’habitation dans laquelle ils avaient trouvé refuge. On le sait, une bande de sacripants la gardaient à vue, et leurs imprécations retentissaient incessamment devant la porte.

La nuit se fit. Le temps, dont on pressentait le changement depuis quelques jours, s’était sensiblement modifié. Après avoir soufflé de terre, le vent avait sauté brusquement dans le nord-est. Déjà, par grandes masses grisâtres et déchirées, les nuages, n’ayant pas même le temps de se résoudre en pluie, chassaient du large avec une extrême vitesse et s’abaissaient presque au ras de la mer. Une frégate de premier rang aurait certainement eu le haut de sa mâture perdu dans ces amas de vapeurs, tant ils se traînaient au milieu des basses zones. Le baromètre s’était rapidement déprimé aux degrés de tempête. Il y avait là des symptômes d’un ouragan né sur les lointains horizons de l’Atlantique. Avec la nuit qui envahissait l’espace, il ne tarda pas à se déchaîner avec une extraordinaire violence.

Or, par suite de son orientation, cet ouragan donna naturellement de plein fouet à travers l’estuaire du Saint-John. Il soulevait les eaux de son embouchure comme une houle, il les y refoulait à la façon de ces mascarets des grands fleuves, dont les hautes lames détruisent toutes les propriétés riveraines.

Pendant cette nuit de tourmente, Jacksonville fut donc balayée avec une effroyable violence. Un morceau de l’estacade du port céda aux coups du ressac projeté contre ses pilotis. Les eaux couvrirent une partie des quais, où se brisèrent plusieurs dogres, dont les amarres cassèrent comme un fil. Impossible de se tenir dans les rues ni sur les places, mitraillées par les débris de toutes sortes. La populace dut se réfugier dans les cabarets, où les gosiers n’y perdirent rien, et leurs hurlements luttèrent, non sans avantage, contre les fracas de la tempête.

Ce ne fut pas seulement à la surface du sol que ce coup de vent exerça ses ravages. À travers le lit du Saint-John, la dénivellation des eaux provoqua une houle d’autant plus violente qu’elle se décuplait par les contrecoups du fond. Les chaloupes, mouillées devant la barre, furent surprises par ce mas-