Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/150

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culèrent, comme si les mains de ce monstre fussent prêtes à les étrangler.

Toutefois, il convenait d’agir avec prudence. Trois enfants morts, il y aurait eu de quoi éveiller les soupçons. Des huit ou neuf shillings qui restaient, la Hard en emploierait une petite part à les nourrir pendant quelque temps. Trois ou quatre semaines encore… oh ! pas davantage… L’agent, quand il reviendrait, recevrait les neuf pence, et la prime d’assurances paierait dix fois ces frais indispensables. Elle ne songeait plus maintenant à rendre les enfants à la maison de charité.

Cinq jours après la visite de l’agent, la petite fille mourut, sans qu’un médecin eût été appelé près d’elle.

C’était dans la matinée du 6 octobre. La Hard, étant allée boire au dehors, avait abandonné les enfants dans son taudis, dont elle avait eu soin de refermer la porte.

La malade râlait. Un peu d’eau pour humecter ses lèvres, on ne pouvait lui donner autre chose. Des remèdes, il eût fallu les aller chercher à Donegal et les payer… La Hard avait un meilleur emploi de son temps et de son argent. La petite victime n’avait plus la force de remuer. Elle grelottait au milieu des sueurs de la fièvre qui trempaient sa litière. Ses yeux se tenaient grands ouverts pour voir une dernière fois, et il semblait qu’elle se dît : « Pourquoi suis-je née… pourquoi ?… »

Sissy, accroupie, lui baignait doucement les tempes.

P’tit-Bonhomme, dans un coin, regardait, comme il eût regardé une cage qui va s’ouvrir et laisser s’échapper un oiseau…

À un gémissement plus plaintif, qui contracta la bouche de l’enfant :

« Est-ce qu’elle va mourir ? demanda-t-il, sans peut-être se rendre compte de ce mot.

— Oui… répondit Sissy, et elle ira au ciel !

— On ne peut donc pas aller au ciel sans mourir ?…

— Non… on ne peut pas ! »

Quelques instants après, un mouvement convulsif agita cette frêle