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p’tit-bonhomme.

Il y avait deux mois et demi que, tous deux, ils suivaient ainsi les chemins du comté, sans avoir pu se fixer nulle part.

Newmarket, située à vingt milles environ de Kerwan, n’est ni très importante ni très peuplée.

Ce n’est qu’une de ces bourgades dont l’indolence irlandaise ne parvient jamais à faire une ville, et qui périclitent plutôt qu’elles ne progressent.

Peut-être était-il regrettable que le hasard n’eût pas conduit P’tit-Bonhomme dans la direction de Tralee ? On le sait, la pensée de la mer l’avait toujours hanté — la mer, cette inépuisable nourricière de tous ceux qui ont le courage de chercher à vivre d’elle ! Lorsque le travail manque dans les villes ou les campagnes, on ne chôme pas sur l’Océan. Des milliers de navires le parcourent sans cesse. Le marin a moins à redouter la pauvreté que l’ouvrier ou le cultivateur. Pour le constater, ne suffisait-il pas de comparer la situation de Pat, le second fils de Martin Mac Carthy, avec celle de la famille chassée de la ferme de Kerwan ? Et, bien que P’tit-Bonhomme se sentît plus séduit par l’attrait du commerce que par le goût de la navigation, il se disait qu’il avait l’âge où l’on peut s’embarquer en qualité de mousse !…

C’est entendu, il ira plus loin que Newmarket ; il poussera jusqu’au littoral, du côté de Cork, centre d’un important mouvement maritime, il cherchera un embarquement… En attendant, il fallait vivre, il fallait gagner les quelques shillings nécessaires à la continuation du voyage, et, cinq semaines après être arrivé à Newmarket avec Birk, il s’y trouvait encore.

On doit se le rappeler, ce qui l’inquiétait surtout, c’était la crainte d’être arrêté comme vagabond, de se voir enfermé dans quelque maison de charité. Très heureusement, ses vêtements étaient en bon état, il n’avait point l’apparence d’un petit pauvre. Le peu de linge dont il s’était muni lui suffisait, ses souliers avaient résisté à la fatigue du voyage. Il n’aurait pas à rougir de son accoutrement, quand il se présenterait quelque part. On ne serait pas tenté de l’habiller et, en même temps, de le nourrir aux frais de la paroisse.