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Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/316

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dix-huit ans à deux.

comme un Chinois ou un renard. Ce qui devait le rassurer, c’est que le chemin n’était pas désert. Quelques cultivateurs abandonnaient les champs et revenaient. Des charrettes se rendaient d’un village à l’autre. À la rigueur, on peut toujours s’informer de la direction. Toutefois, il préférait ne point attirer l’attention, et passer sans interroger personne.

Au bout d’une demi-douzaine de milles, enlevés d’un pas rapide, il atteignit Derry-Gounva, petite localité sise à l’endroit où la route coupe le massif des Boggeraghs. Là, dans une auberge, un voyageur qui était en train de souper lui adressa deux ou trois questions, d’où il venait, où il allait, quand il comptait repartir, et, très satisfait de ses réponses, lui proposa de partager son repas. Comme c’était de cordiale amitié, P’tit-Bonhomme accepta de bon cœur. Il se réconforta largement, et Birk ne fut point oublié par le généreux amphytrion. Il était fâcheux que ce digne Irlandais n’eût pas affaire à Cork, car il aurait offert une place dans sa voiture ; mais il remontait vers le nord du comté.

Après une nuit tranquille à l’auberge, P’tit-Bonhomme quitta Derry-Gounva dès la pointe du jour, et s’engagea à travers le défilé des Boggeraghs.

La journée fut fatigante. Le vent soufflait avec rage, s’engouffrant entre les talus boisés. On eût dit qu’il venait du sud-ouest, bien qu’il suivît les détours du défilé, quelle que fût leur orientation. P’tit-Bonhomme le trouvait toujours debout à lui, sans avoir, comme un navire, la ressource de courir des bordées. Il fallait marcher contre la rafale, perdre parfois cinq ou six pas sur douze, s’aider des broussailles agraffées aux rocs, ramper au tournant de certains angles, enfin, s’éreinter beaucoup pour n’avancer que peu de chemin. En vérité, une charrette, un jaunting-car lui eût rendu un grand service. Il n’en rencontrait point. Cette portion des Boggeraghs est à peine fréquentée. On peut gagner les villages du pays sans se risquer dans ce dédale. De passants, P’tit-Bonhomme n’en vit guère, et encore allaient-ils dans une direction inverse.